Géopolitique et Luxe. L’American way of life a le blues

En 2023, le marché américain n’a pas comblé les attentes des groupes de luxe. LVMH et Hermès ont vu leur croissance ralentir significativement ou même reculer, à l’instar de Kering. Cette décélération massive préoccupe bien plus les géants du secteur que la prudence montrée par le marché chinois, encore pénalisée par les suites de la pandémie.

Le client américain semble avoir renoncé partiellement aux dépenses superflues qui constituaient cet American way of life. Sur les neufs premiers mois de l’année, le secteur des spiritueux a vu reculer ses ventes de 14%. En partie justifiées par une normalisation de la consommation après le rattrapage post-pandémie, les causes sont également à chercher du côté des décisions prises par l’administration Biden face au contexte géopolitique mondial. Pour rappel, en 2021, le président américain avait lancé une série de plans d’investissements très importants, parmi lesquels se distinguait un projet pour les ménages de 1800 milliards de dollars étalé sur dix ans. Cette aide avait donné une forte impulsion à l’économie et aux dépenses. Entre janvier et mars 2021, Kering et LVMH avaient enregistré un bond significatif des ventes (respectivement de +46% et +23%).

Aujourd’hui en revanche, la perspective des élections présidentielles américaines prévues pour 2024 et le contexte international intense sur plusieurs fronts pèsent sur la santé économique du pays. Le sujet de la guerre en Ukraine est devenu un enjeu politique intérieur, lié à l’aide financière massive que les Etats-Unis ont accordé depuis le début du conflit, alors même que la contre-offensive ukrainienne n’a pas enregistré de succès.

Les bombardements massifs d’Israël contre le Hamas à Gaza suscitent également de vives inquiétudes, ainsi que le potentiel enjeu de défense de Taiwan en cas d’attaque par les Chinois. Républicains et démocrates sont aujourd’hui très divisés quant aux solutions à prendre. Bien que le Trésor américain ait annoncé avoir la possibilité de fournir de l’aide sur plusieurs fronts, les républicains en profiteront pour souligner les risques de fragilisation de l’économie interne. Une fronde anti-Biden basée sur ces craintes en vue des élections pourrait envenimer les tensions et accentuer la peur d’un effondrement financier et d’une diminution significative des réserves du Trésor public. Un effet qui pourrait paralyser l’économie interne et en conséquence influer sur les investissements, y compris des acteurs du luxe. Le président américain a annoncé récemment souhaiter réclamer au Congrès une enveloppe de 100 milliards de dollars pour l’aide à l'Ukraine, Israël et Taïwan. Il s’est ensuite empressé de communiquer qu’une partie de ces fonds serait alloué à la gestion de la crise migratoire avec le Mexique, tentant ainsi d’apaiser les républicains, inquiets et très sceptiques, voire opposés aux aides économiques extérieurs.

Biden pourrait donc échouer aux prochaines élections présidentielles à cause du contexte extérieur, accusé par les adversaires de mettre en danger la stabilité économique du pays. Le retour des républicains, animés par les idées trumpistes liées au concept du America first pourrait durablement impacter les investissements étrangers. De fait, le climat actuel aux Etats-Unis génère déjà un attentisme de la part des grands acteurs économiques, y compris dans le secteur du luxe, limitant leurs stratégies de croissance sur le marché américain. L’American way of life est décidément en berne aujourd’hui.