Tribune libre

Géopolitique et luxe. Face à la hausse des taxations, les grands groupes de luxe français réagissent.

Eva Morletto

By Eva Morletto05 novembre 2024

Alors que la dette de la France plonge, le gouvernement français se prépare à taxer les grandes entreprises. Pourtant pays le plus taxé de l’OCDE, son déficit public a atteint des proportions inquiétantes: à la fin du deuxième trimestre 2024, la dette s’est établie à 3 228,4 milliards d'euros d'après la dernière publication de l’INSEE, ce qui correspond à 112 % du PIB.

Le gouvernement a récemment présenté son plan pour le Budget 2025 et la question du déficit s’est révélée centrale. La coalition guidée par le Premier Ministre Michel Barnier a souhaité introduire une contribution exceptionnelle des grandes entreprises et une hausse temporaire de l’impôt sur les sociétés (IS); cette augmentation devrait s’appliquer à environ 440 groupes qui afficheront plus d’un milliard de chiffre d’affaires en France dans les prochaines deux années.

Les mesures annoncées représentent une hausse de l’impôt de 31 % pour les sociétés avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et de 15,5 % pour  les entreprises qui ont des revenus compris entre 1 et 3 milliards d’euros.

Le gouvernement espère récupérer, grâce à cette manœuvre fiscale, une recette de 8 milliards d’euros en 2025 et de 4 milliards pour l’année suivant. Les géants du luxe français se sont dès lors attelés à faire les comptes.

Pour LVMH, l’augmentation de l’impôt devrait représenter un montant entre 700 et 800 millions d’euros. Le directeur financier de LVMH Jean-Jacques Guiony a déclaré, lors de la conférence liée à la publication des derniers chiffres du troisième trimestre 2024, que 45%  des impôts totaux payés par le groupe seront ainsi versés à la France, contre 40 % aujourd’hui. Le groupe de la famille Arnault représente déjà 4,5% des impôts payés par les entreprises en France. «Ces chiffres devraient rassurer ceux qui craignent que l’on ne contribue pas aux efforts budgétaires en cours...» a-t-il commenté, en soulignant l’effort financier demandé en ces temps de crise au CAC 40 et aux entreprises d’excellence. A noter que les ventes sur territoire français ne pèsent que 7% du  chiffre d’affaires de LVMH, sur un total de 86 milliards totalisés en 2023.

Le gouvernement assure que cet alourdissement de la charge fiscale, indispensable pour pallier en partie aux 60 milliards d’euros nécessaires pour combler la dette du pays, ne devrait pas être appliqué au-delà de deux ans. Cependant, face au ralentissement du marché du luxe, la mesure passe mal.

L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que le contexte politique et la réduction des déficits auront un impact négatif sur la croissance, malgré une politique monétaire plus favorable.

Le projet de loi de finances conçu par le gouvernement Barnier pèserait beaucoup plus lourdement sur l’économie que ce que prévoient les politiques. Selon l’analyse de cette institution, les mesures draconiennes liées au Budget 2025 pourraient amputer de moitié la croissance française en 2025, avec un impact limité sur la réduction de la dette.

Toujours selon les études du OFCE, la croissance serait ainsi ralentie de 0,8 points de PIB, si l’objectif de réduire le déficit public à 5% en 2025 est respecté.

Lors de l’annonce de ses résultats, le groupe L'Oréal a estimé à son tour la potentielle portée de la mesure économique sur ses finances: un peu plus de 250 millions d’euros. Sur la question, Nicolas Hieronimus, directeur général de L’Oréal a soulevé un point crucial: «Ce qui est important, (…) c'est que les entreprises françaises ou européennes soient mises en condition de réussir à performer sur le marché mondial face à des concurrents américains et asiatiques qui ont leur propre contexte, leurs propres règles du jeu», a-t-il dit. «Donc la solidarité, oui, mais en revanche, il est important que la compétitivité des entreprises soit préservée.»

La France réussira-t-elle dans ces conditions de hausse massive de la fiscalité à garder sa compétitivité sans être distancée par ses voisins européens et concurrents internationaux? La politique économique mise en place pendant les mandats d’Emmanuel Macron avait misé jusqu’ici sur une baisse des impôts pour les entreprises depuis 2017, pour relancer l’économie. Le taux de l'impôt sur les sociétés (IS) était ainsi passé de 33,3% à 25%. Le taux de chômage avait dès lors baissé de deux points en sept ans. Dans le même temps, le pays avait réussi à attirer des acteurs économiques étrangers, comme l’avait démontré la dernière édition du sommet Choose France et ses 15 milliards d’investissements liés. L’austérité fiscale portera-t-elle un coup fatal à cette désirabilité ? Les grands groupes français vont attentivement analyser les conséquences, à n’en pas douter.

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