Moncler se lance dans la parfumerie, Louis Vuitton dans la restauration, Dolce & Gabbana dans le vin rosé, les marques de luxe multiplient les nouveaux relais de croissance. Avec pour ambition d’augmenter leur rentabilité. Quitte à vendre leur âme au diable?
Déjà habituées à diversifier leur catalogue de produits pour élargir leur clientèle, les marques de luxe accélèrent le mouvement depuis quelques semaines. Moncler proposera sa première gamme de parfums dans le courant du premier trimestre 2022. Une suite logique selon Remo Ruffini, président-directeur général de la maison spécialisée dans le mountainwear, qui l’a confirmé via un communiqué: «Le lancement de la première ligne de parfums Moncler est conforme à notre stratégie sélective d’extension de la marque destinée à enrichir encore plus notre expérience client.» La maison de couture italienne Dolce & Gabbana s’est associée à Donnafugata pour produire «Rosa», un vin rosé mariant les deux cépages siciliens Nerello Mascalese et Nocera. Quant au malletier Louis Vuitton, il vient d’ouvrir son premier restaurant et café au sommet de la Maison Louis Vuitton Osaka Midosuji au Japon.
Cela peut conduire à une dilution de la marque. Ce risque est particulièrement pertinent pour les marques de luxe qui se distinguent par leur image de prestige.
Torsten Tomczak, professeur de marketing à l’Université de Saint-Gall, et Marek Gorny, associé de recherche principal à l’Université de Lucerne
Trois exemples, parmi tant d’autres, qui démontrent que la diversification est désormais considérée comme un remède anti-crise. Ce qui n’étonne pas Nicolas Chemla, consultant et auteur de «Luxifer, pourquoi le luxe nous possède»: «De tels lancements ne sont pas particulièrement surprenants. Les marques de luxe, notamment de couture, utilisent depuis des décennies les parfums comme points d’entrée plus abordables dans l’univers de la marque. Dolce & Gabbana est une marque festive et méditerranéenne un rien flashy, ce qui correspond tout à fait à la consommation de rosé, véritable phénomène de mode auprès d’une tribu internationale de jeunes gens aisés et hédonistes. A la marque de garantir la qualité et le savoir-faire en lien avec son héritage, afin que cela ne devienne pas juste un produit de fashion victim qui ne sait pas choisir son vin.» Même son de cloche de la part d’Ashok Som, professeur de management à l’ESSEC Business School et auteur de «The Road to Luxury»: «Il y a aussi la société Rimowa qui s’aventure dans les lunettes de soleil ou encore Gucci dans la haute-joaillerie. La diversification des produits est l’une des stratégies permettant aux marques de se développer de manière organique, spécialement en période de crise.»
Dégrader la légitimité
A trop se diversifier, on risque de brouiller l’imaginaire et le savoir-faire d’une maison
Nicolas Chemla, consultant et auteur de «Luxifer, pourquoi le luxe nous possède»
Reste qu’une telle stratégie n’est pas sans danger pour l’image d’une marque comme le rappellent les expertes de l’industrie du luxe au sein du Boston Consulting Group, Sarah Willersdorf et Guia Ricci: «L’expansion dans un trop grand nombre de catégories peut représenter un risque, en particulier si la marque ne contrôle pas suffisamment la conception, la création, la tarification et la distribution de ces nouveaux produits ou services.» Une inquiétude partagée par Torsten Tomczak, professeur de marketing à l’Université de Saint-Gall, et Marek Gorny, associé de recherche principal à l’Université de Lucerne: «Cela peut conduire à une dilution de la marque. Ce risque est particulièrement pertinent pour les marques de luxe qui se distinguent par leur image de prestige.» Nicolas Chemla nuance: «A trop se diversifier, on risque de brouiller l’imaginaire et le savoir-faire d’une maison, et donc sa légitimité. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’interdits, tant que le produit raconte une histoire cohérente avec l’univers et le style de vie de la marque. Par exemple, quand Bulgari se lance dans l’hôtellerie, la maison est suffisamment iconique et solidement ancrée pour que personne ne mette en doute ce que son offre peut apporter à ce marché et à ses consommateurs.» Sarah Willersdorf et Guia Ricci ajoutent: «Au-delà d’une marque et de ses produits, les consommateurs d’aujourd’hui sont fortement axés sur la collecte d’expériences de vie. Selon notre dernier rapport True Luxury Global Consumer Insights, 40% des consommateurs de luxe sont prêts à transférer leurs dépenses des produits vers le luxe expérientiel.»
Changement de perception
D’une diversification verticale, les grands groupes de luxe rêve donc de passer à une expansion horizontale en misant toujours davantage sur les voyages et la gastronomie. Mais ce changement de paradigme prendra du temps selon Ashok Som: «Les marques souhaitent cette évolution, mais à cause de la pandémie de Covid-19, il leur sera difficile d’investir en ce moment.» Torsten Tomczak et Marek Gorny font preuve de davantage d’optimisme: «Le changement de perception du luxe indique que les marques pourraient de plus en plus répondre aux besoins expérientiels des consommateurs. Car la compréhension du luxe par ceux-ci s’est élargie, passant du statut social à des expériences agréables et à un sens plus large de l’expression de soi.» Une expression de soi qui devra à tout prix rester dans le cercle du luxe. Car à force de trop vouloir se démocratiser pour retrouver une rentabilité post-covid, le secteur risque de perdre l’un de ses fondamentaux: l’exclusivité.
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