Le musée Galliera propose à Paris jusqu’au 14 mars 2021 la première rétrospective d’envergure sur Gabrielle Chanel. Laissant de côté les polémiques sur la personnalité complexe de la femme, c’est le travail de la couturière visionnaire que le Musée de la Mode met magistralement en scène.
Jeudi 8 octobre, 19 heures, une vingtaine de visiteurs se pressent derrière la conférencière du Palais Galliera. Le musée de la mode vient de rouvrir à Paris après deux ans de rénovation (des travaux financés en grande partie par la maison Chanel). Un chapeau de paille noire, une marinière de soie blanche, une veste à paillettes cuivre. Surprise de l’assistance, ce vestiaire semble si moderne. «Tellement portable et désirable, lance la guide. Contrairement à ses confrères, qui étaient surtout des hommes comme Paul Poiret ou Jean Patou, Gabrielle Chanel créait des vêtements d’abord pour elle. Elle les voulait confortables». Ainsi est né le style «Chanel», une allure nonchalante, mais chic: pour une amazone fière et altière, une femme libre et affranchie, qui traverserait le siècle, mains dans les poches. Le ton de l’exposition parisienne est donné. «Gabrielle Chanel. Manifeste de Mode» se veut didactique. La rétrospective entend faire comprendre pourquoi la créatrice reste la référence du luxe, cinquante ans après sa mort.
Le style Chanel commence dès les débuts de la jeune couturière en 1910. Gabrielle a ouvert une boutique à son nom baptisée Chanel Modes au 21 rue Cambon, à Paris et fait la une de la revue Comœdia Illustré avec une de ses créations, un chapeau noir surmonté d’une grande plume blanche. Ce même journal va multiplier les reportages de comédiennes en vue arborant les élégants couvres chefs de Mademoiselle Chanel. Des jeunes femmes, comme Lucienne Roger ou Gabrielle Dorziat, aussi sportives qu’indépendantes. Des héroïnes inspirantes pour Chanel qui veut libérer ses contemporaines du corset et proposer une panoplie de vêtements fluides et fonctionnels!
La Ford de Chanel
Résultat: Mademoiselle Chanel a vu juste, le succès est immédiat. Ses costumes en jersey ou ses marinières de soie ivoire, comme celle de 1916 exposée dans le salon d’honneur du Musée Galliera sont plébiscitées.
1918 fin de la guerre et début des années folles. Les femmes veulent s’amuser. Finis les vestiaires avec six tenues par jour pour les élégantes. Pour ces affranchies, Chanel lance et démultiplie sa fameuse petite robe noire dès 1926, que le Vogue US rebaptise, succès oblige: la Ford de Chanel! Courte et portable du matin au soir, la petite robe noire pourra se mettre ou s’… ôter à sa guise et sans femme de chambre ou mari! Il faut bien tenter d’oublier et tourner la page: plus de 600 000 françaises sont devenues veuves. Danser, faire du sport ou travailler, les femmes reprennent en main leur destin. Chanel anticipe leurs désirs.
La couturière a longtemps regardé les danseurs des ballets russes. Pour elle, tous les gestes partent du dos. Rien ne doit entraver le mouvement. Preuve à l’appui: cette robe et veste entre 1922 et 1928, en jersey de soie ivoire, version presque sublimée d’une robe de la joueuse de tennis Suzanne Lenglen.
Mais pour Chanel, le luxe ne doit pas se voir. Elle crée des manteaux aussi beaux à l’intérieur qu’à l’extérieur. Modèle du genre ce manteau, automne-hiver 1922-23, toile de laine noire brodée au point de chaînette en soie multicolore et fil or; fourrure moderne, satin de soie marron.
Un an plus tôt, elle a offert à ses clientes un accessoire aussi invisible qu’indispensable: un parfum qui ne ressemble à aucun autre, aucune senteur identifiable, mais une fragrance abstraite et mystérieuse, composée par le parfumeur Ernest Beaux, avec du Jasmin de Grasse, de la Rose de Mai, mais aussi grande première dans la parfumerie un surdosage d’aldéhydes (matières synthétiques). Le premier flacon carré aux lignes pures et anguleuses, loin des fioles chamarrées en vogue à l’époque est magnifiquement dévoilé dans la galerie Est du musée. Une star est née, le Chanel N 5 (qui doit peut-être son nom au numéro de la formule proposée par Beaux et aussi au choix du numéro fétiche de la couturière qui lance le parfum le 5 mai, cinquième mois de l’année) va devenir l’une des fragrances les plus vendues dans le monde et assurer la fortune de la créatrice.
Le coup d’éclat de Coco
Indépendantes, les femmes des années 1930 peuvent s’offrir elles-mêmes leurs bijoux. Reine des faux bijoux, Gabrielle ose une incursion dans le monde de la Haute Joaillerie, sinistrée par la crise de 1929 et dont les ouvriers des plus prestigieuses maisons sont au chômage. En 1932, à la demande de l’International Diamond Corporation de Londres et au grand dam de la chambre syndicale française de la joaillerie (qui n’apprécie pas l’audace d’une couturière dans son pré carré!), Gabrielle imagine une collection qu’elle présente chez elle dans les salons de son hôtel particulier du 29 rue du Faubourg Saint Honoré. Devant le tout Paris médusé, grâce à l’usage novateur du platine, Chanel dévoile des parures modulables, portables en broche ou en bracelet. Aériennes et oniriques, elles paraissent sorties de la voûte céleste. Telle cette broche Comète, tiare rêvée d’une reine des neiges que les visiteurs de Galliera peuvent découvrir dans la galerie Ouest. Avec la broche «plume» ayant appartenu à Marie Laure de Noailles, cette broche Comète, propriété de la Maison Chanel semble le dernier bijou actuellement connu et identifié de cette folle aventure.
Les années 30 s’annoncent plus sérieuses et austères. Mademoiselle Chanel, comme pour conjurer l’ennui, imagine des robes de plus en plus sophistiquées, quelquefois plus longues, précisant le corps mais toujours sans excès. Telle cette robe d’après-midi printemps été 1930, en mousseline de soie blanche imprimée rose pâle ou brun ou cette magnifique robe noire aux dessins de plumes vertes et roses et bustier rehaussé de plumes fuchsia, dernière pièce qui sortira de l’atelier avant la fermeture de la maison le 3 septembre 1939.
Une armure pour affronter le monde
1944-1954, années blanches pour Chanel qui s’exile en Suisse et tente de faire oublier sa liaison pendant la guerre avec un officier allemand, le baron Hans-Günther von Dincklage. Pas si simple…En 1946, un certain Christian Dior ouvre son atelier avenue Montaigne. Il entend célébrer la féminité: épaules arrondies, buste souligné, taille cintrée, jupes corolle…Son New-Look fait fureur. Chanel érupte, ronge son frein et prépare son retour. Elle revient à Paris en 1953 et après quatorze ans d’absence présente sa nouvelle collection le 5 février 1954.
La France boude, mais l’Amérique applaudit et lui remet l’Oscar de la Mode honorant la créatrice la plus influente du XXème siècle. Mademoiselle Chanel reprend les fondements qui ont façonné son esthétique et parachève son manifeste. Elle renoue avec les petites robes noires, en velours, soie, dentelle ou même matière synthétique. Elle ne craint pas d’illuminer les plus austères des bijoux fantaisies inspirés des collections Médiévales et Renaissance qu’elle a si souvent admirées au Louvre. Et surtout, elle invente pour la femme de cette fin de XXème siècle une armure pour affronter le monde: un tailleur extrêmement dépouillé, un cardigan tout simple, une jupe qui repose sur la pointe des hanches.
Le Musée Galliera présente plus d’une cinquantaine de variations du fameux tailleur Chanel et retrace les liens étroits que Gabrielle continue d’entretenir avec le monde artistique. Comme avant-guerre, les actrices les plus célèbres portent toujours ses créations au cinéma comme à la ville, Jeanne Moreau, Romy Schneider, Dephine Seyrig…
Gabrielle Chanel décède le 10 janvier 1971, à Paris. Sa tombe à Lausanne est surmontée de cinq têtes de lion. Gabrielle Chanel est morte, mais l’allure Chanel demeure, intemporelle et forcément sublime.
A NE PAS MANQUER:
Les pièces iconiques:
- Le chapeau : Paille tressée noire, ruban en satin de soie noir : crée entre 1913 et 1914, l’une des premières pièces de la jeune Coco.
- Le premier flacon de Chanel N 5, 1921.
- La broche Comète, collection Bijoux de Diamants, 1932.
- Le premier sac 2.55, 1954-1971, agneau teint en matelassé, métal doré, fermoir à tourniquet. Sa chaîne bijou permet de le porter à la main ou à l’épaule, ses nombreuses poches intérieures facilitent le rangement.
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