Cyrille Vigneron: «Le client a une exigence de reconnaissance du style Cartier, dans sa profusion et son renouvellement»
À Vienne, en mai dernier, Cartier révélait sa collection de haute joaillerie Nature Sauvage. Un ensemble de précieuses créations au pur style Cartier. Cyrille Vigneron, président et CEO de Cartier, accordait une interview quelques jours avant la révélation du changement de ses fonctions, consacrées dès le 1er septembre à la présidence de Cartier Art et Culture.
Au Kursalon Hübner, un pavillon en plein centre historique de Vienne, dans un décor contemporain fait de matériaux naturels savamment mêlés à l’architecture du lieu de style Renaissance italienne, la panthère était omniprésente. Hypnotisant de tous ses feux les clients venus en nombre du monde entier admirer les dernières créations joaillières, le félin – emblème de Cartier depuis que Jeanne Toussaint, créatrice mythique de la maison dès l’entre-deux-guerres, avait joué avec talent à interpréter le fauve de mille façons, – était la star de la collection Nature Sauvage. Sur un collier en diamants Panthère des Glaces totalisant près de 25 carats, sur une broche d’épaule composée d’un saphir cabochon de Ceylan de 41 carats ou encore sur un bracelet bague enrichi d’une émeraude de Zambie de 8,5 carats, la panthère, accompagnée de tout un bestiaire aussi vrai que nature, symbolisait le pur style Cartier. Cinquante mille heures de travail pour un ensemble de parures qui doit faire rayonner le savoir-faire unique de la maison, dans un monde où la concurrence entre joailliers n’a jamais été aussi âpre. Avec Nature Sauvage, le joaillier, leader du secteur, le fait savoir.
Comment a été abordée la collection de haute joaillerie Nature Sauvage?
Nature Sauvage a été imaginée pendant la pandémie. Nous avions dû nous extraire du contexte anxiogène et imaginer des pièces à la fois singulières et plurielles, toutes différentes, mais exprimant le style Cartier. Elles sont à la fois exclusives et inclusives dans leur capacité à toucher l’émotion de chacun, sans savoir ce que serait le monde au moment de leur révélation. Nature Sauvage évoque la recherche de notre propre nature, bien plus qu’un simple thème animalier. Le Covid nous a poussés à nous questionner sur nos envies, nos ressentis. Un parallèle intéressant est à faire avec la ville de Vienne que nous avons choisie pour la présentation. Son architecture révèle ce moment où la ville, au XIXe siècle, sortait d’une période très puritaine et rigide. Son architecture Art nouveau révèle une nature qui s’exprime partout. C’était un besoin. Klimt y célébrait la femme dans son acceptation d’une nature très sensuelle, voire animale. La panthère, vue par Jeanne Toussaint (directrice de la création de Cartier pendant trente-sept ans, ndlr) symbolise aussi une forme de réappropriation de notre nature profonde, de cette part d’animalité ancrée en nous. Cette collection nous incite à retrouver cette part qui nous constitue, et à l’exprimer, car c’est ce qui nous relie au monde.
Comment cette collection peut-elle toucher les publics?
Je pense que cette collection va particulièrement toucher les publics, car elle vient nous défier sur notre intimité profonde et souvent refoulée. C’est aussi une évocation graphique et abstraite de la nature. L’imagination est illimitée, à nous de rêver à des créatures qui existeront dans des milliers d’années. Cette collection nous incite à nous penser comme faisant partie du monde et non extérieurs à celui-ci. Le mot sauvage ne se comprend pas dans une définition qui se réfère à la dangerosité ou au brutal, mais bien plus à la nature primale. C’est une collection introspective, mais qui parle à tous.
Qu’est-ce que la haute joaillerie peut raconter que les autres formes d’art ne peuvent pas?
L’horlogerie s’insère dans la mythologie du contrôle du temps. On gagne son autonomie par sa maîtrise. C’est un rêve constant de l’humanité. La joaillerie a une relation plus symbolique à l’ensemble du monde, à l’univers, au temps fini ou infini, bien plus long que le temps humain. Les pierres précieuses étaient là bien avant nous et le seront bien après nous. On porte la joaillerie sur soi, sur des parties fragiles, sur le cou, près du cœur, sur les poignets. Elle nous protège. C’est un signe de pouvoir, porté à l’époque par les monarques, par les clercs. En revanche, le discours d’une horlogerie focalisée sur la forme, le design, qui dure et échappe à la notion du temps est plus proche.
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène des pierres précieuses non montées?
On peut y voir deux aspects symboliques. L’aspect naturaliste de la pierre, qui a pris forme au fil de centaines de millions d’années, que l’on peut apprécier pour sa beauté et énergie. Et la symbolique de cette étincelle de beauté qui est en chacun de nous, qu’il faut aller chercher.
La haute joaillerie s’expose toujours plus dans les musées. Quelle est la stratégie de Cartier sur ce point?
Pour faire comprendre la haute joaillerie, il faut la faire ressentir. C’est lorsque l’on peut poser son regard sur un certain nombre de bijoux, scénographiés par un artiste, un curateur ou un architecte, que l’on peut la ressentir le mieux. C’est ce qui rend la haute joaillerie à la fois inclusive et exclusive. Tout le monde peut apprécier la beauté d’une pièce de haute joaillerie, même si l’on n’a pas l’intention de l’acheter. Il est important de comprendre les liens entre les collections contemporaines et les sources d’inspiration esthétiques ou historiques issues du patrimoine. Plusieurs expositions Cartier sont à découvrir à travers le monde. Il y a eu Cartier et les Arts de l’Islam à Paris, puis à Abu Dhabi. Il y a Crystallization of Time, en ce moment à Séoul, puis une prochaine exposition au Shanghai Museum, mise en scène par un très grand artiste contemporain. Et bientôt une nouvelle au Victoria & Albert Museum de Londres, dont je ne peux pas encore parler.
Quelles exigences sont aujourd’hui formulées par les clients en haute joaillerie?
Dans un contexte où les acteurs du marché sont de plus en plus nombreux et ne proviennent pas tous de la joaillerie, l’exigence est de trouver un style Cartier reconnaissable et différent. Nature Sauvage est intrinsèquement très Cartier. Elle répond à cette exigence de reconnaissance du style, dans sa profusion et son renouvellement, sur chaque pièce unique. Il faut pouvoir offrir une création que seul Cartier est capable de réaliser. Le deuxième point est lié à une polyvalence des portés. Un collier doit pouvoir contenir une broche et d’autres éléments, pour des portés différents, simples ou plus opulents, pour que l’on se sente toujours juste dans l’expression de soi. Cela implique un savoir-faire technique toujours plus pointu. Il y a une attente de fluidité, de finesse et d’aisance du porté, même pour des pièces très chères.
La pièce doit être à la fois statutaire et ludique aujourd’hui?
Ce n’est pas nouveau, mais c’est une envie toujours plus présente. C’est une manière de se réapproprier le bijou. C’est aussi jouer avec soi-même. La haute joaillerie permet de se mettre en scène de manière particulière, de transformer la personne qui la porte, en lui conférant le plus d’énergie possible et ainsi de rayonner. L’objet peut jouer avec la personne. Le bracelet-bague panthère, par exemple, est particulièrement singulier. C’est comme si la pièce était issue de nous, qu’elle sortait de nos veines. Chacun ou chacune est cette panthère. Elle est une messagère entre les mondes qui nous donne sa force.
Partager l'article
Continuez votre lecture
Cyrille Vigneron: «La libre réinvention permet à la marque Cartier de rester forte»
Cartier présentait fin mai sa nouvelle collection de haute joaillerie intitulée Le Voyage Recommencé. L’occasion pour le numéro un mondial de la joaillerie de démontrer que sa capacité à se réinventer reste intacte.
PODCAST. L’engagement est-il une forme de diplomatie culturelle? Cartier Beyond the Red Box. Episode 1
Cyrille Vigneron, président et CEO de Cartier s’exprime sur la signification de l’engagement et sur les responsabilités qu’implique cette charge.
S'inscrire
Newsletter
Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.