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«Le luxe suisse est un outil de communication précieux»

Fabio Bonavita

By Fabio Bonavita02 novembre 2020

Ambassadeur de la Suisse à l’étranger, Nicolas Bideau estime que le luxe n’a pas d’autres choix que de miser sur sa durabilité. Le directeur de Présence Suisse se livre également sur les valeurs qui font du Made in Switzerland un label de qualité à l’international. Même en période de crise. Entretien.

Votre mission consiste à promouvoir l’image de la Suisse à l’étranger, le luxe helvétique fait partie des atouts que vous mettez en avant?

Selon nos études d’image à l’étranger, la perception de notre pays est souvent liée au luxe ou à des valeurs qui lui sont proches: qualité, précision, nature, chocolat, horlogerie ou finance. Si d’autres pays sont plus directement associés au luxe, comme la France ou l’Italie, la Suisse incarne des valeurs profondes proches de ce domaine. De plus, de nombreuses marques suisses de luxe incarnent ces valeurs et de facto cette dimension de notre image. Le luxe helvétique est porteur pour notre image, il est un outil de communication précieux lorsque nous organisons des événements à l’étranger.

Il vous est difficile de parler d’autre chose que d’horlogerie?

Dans le domaine du luxe, il est évident que l’horlogerie est la principale association spontanée avec la Suisse. L’avantage est que la montre permet, en plus de la dimension qualité et précision, de mettre en avant une histoire et un savoir-faire technique. L’hôtellerie de luxe a également une place dans l’imaginaire collectif, la destination «Suisse» demeurant une référence dans de nombreux pays. Le luxe se comprend ici, en plus des hôtels eux-mêmes, comme la nature préservée, la sécurité, la propreté et des infrastructures de haut niveau. Finalement, la plupart des produits suisses d’exportation peuvent être associé au luxe dans leurs domaines respectifs: le Gruyère est un peu notre caviar, ABB est une rolls de l’industrie et nos textiles équipent les plus grandes marques automobiles.

Pour Nicolas Bideau, le Made in Switzerland reste un label de qualité bénéficiant d’une crédibilité importante. (DR)

L’hôtellerie de luxe va-t-elle se relever de la crise qu’elle traverse actuellement?

Le tourisme suisse fait face à une crise sans doute sans précédent, comme dans de nombreux autres pays. Les chiffres actuels sont inquiétants et il est possible que certains ne s’en relèvent pas, à en croire les prévisions des acteurs de la branche. Plus son marché dépend des visiteurs internationaux et des congrès, plus une destination est exposée à des difficultés. L’hôtellerie de luxe est en plein dans cette situation. Une solution, vaccin ou autre, est donc vitale pour le secteur.

Faites-vous le même constat pour les restaurants étoilés?

Les restaurants étoilés ont une plus forte proportion de clients indigènes et sont donc moins sensibles aux variations de touristes étrangers. Dans les échanges récents que j’ai pu avoir avec plusieurs chefs, les chiffres semblaient plutôt rassurants, après des semaines de fermeture contrainte ayant bien entendu constitué un défi financier et humain.

Le luxe suisse gagnerait-il à davantage se diversifier en misant sur la mode, la joaillerie ou la maroquinerie?

Il est difficile de répondre directement à cette question. Je laisse les marques déterminer elles-mêmes leurs axes de développement potentiels! Mais d’un point de vue analytique, il me semble y avoir des opportunités dans ces domaines proches de l’horlogerie, avec un transfert d’image et de crédibilité assez naturel, mais aussi des défis importants, la densité de ces marchés étant déjà élevée, avec de nombreux acteurs et des marques étrangères de référence très installées.

La France a le Comité Colbert, l’Italie la Fondation Altagamma, on peut rêver d’une telle structure en Suisse qui chapeaute l’industrie du luxe?

Notre pays a une tradition différente de la France ou de l’Italie. Nous nous méfions généralement des structures centralisatrices et laissons les industries se structurer elles-mêmes. Mais il me semble que ces dernières années, les acteurs du luxe, tout en gardant farouchement leur indépendance, ont réussi parfois à se coordonner pour défendre les intérêts de la branche. Je suis par exemple avec beaucoup d’intérêt les réflexions de l’horlogerie sur la cohérence de ses actions dans le domaine des salons. Ces réflexions sont saines, notamment pour préserver et promouvoir l’image de cette industrie emblématique du luxe. Cette capacité à se réunir pour des intérêts communs est utile, sans avoir nécessairement de meta-structure permanente.

Qualité, précision, nature, chocolat, horlogerie et finance, constituent toujours l’image de la Suisse. (Pxhere)

Le Made in Switzerland fait toujours vendre?

Le Made in Switzerland est toujours un label de qualité bénéficiant d’une crédibilité importante. En fonction des pays et des domaines, son impact est différent. Des études sont menées régulièrement, notamment pas l’Université de Saint-Gall, pour calculer sa valeur économique, qui se maintient «plus que bien» de manière générale. Le nombre de marques essayant de se faire passer pour Suisse en est un bon indicateur! De plus, en cette période de pandémie, les dimensions sécurité, durabilité, stabilité et propreté du Made in Switzerland jouent plutôt pour la Suisse.

Les écoles internationales attirent également les grandes fortunes en Suisse, comment vous expliquez cette tradition toute helvétique?

Plusieurs facteurs expliquent cette réussite des écoles internationales. Tout d’abord, la tradition: l’histoire de ces écoles dans notre pays est ancienne et une image forte s’est formée, notamment car des têtes couronnées et des célébrités les ont fréquentées. Ensuite, la qualité de l’enseignement: si les familles n’étaient pas satisfaites de l’éducation dispensée dans ces établissements, le succès ne serait plus le même. Enfin, l’image de la Suisse: les qualités dont nous avons parlé plus tôt jouent là aussi un rôle important. La stabilité politique, la neutralité, la réussite économique ou la sécurité sont autant d’arguments pertinents au moment de choisir un lieu d’étude pour ses enfants.

Le luxe de demain, il ressemblera à quoi selon vous? Il sera plus durable?

«Le luxe de demain sera forcément plus durable»

Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse

Il ne peut pas ne pas l’être! C’est une tendance politique et sociétale de fond qu’un domaine aussi important que celui du luxe ne peut éviter. De nombreuses marques ont d’ailleurs senti ce thème depuis longtemps et s’y sont positionnées, tant du point de vue de la communication, avec des partenariats d’images en soutien d’initiatives durables, que des circuits de production et de diffusion. Les chantiers sont cependant encore grands, comme pour nous tous. Le luxe a un certain avantage, étant plus durable par nature, par opposition à l’obsolescence programmée d’autres industries. Mais ce n’est qu’un début!

Nicolas Bideau est directeur de Présence Suisse depuis 2010. (DR)

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