« Roger Dubuis fait office de laboratoire pour le groupe Richemont ». Nicola Andreatta, CEO de Roger Dubuis.
Après 25 ans d’histoire, la marque Roger Dubuis fait encore office d’enfant terrible du groupe Richemont. Ses collections aux allures et complications horlogères un peu folles ont trouvé leur public, toujours plus exigeant. Et son patron, Nicola Andreatta va encore accentuer la tendance.
1995
Création de Roger Dubuis
35
Le nombre de calibres Roger Dubuis
24
Le nombre de boutiques dans le monde
A la tête de la marque Roger Dubuis depuis décembre 2018, Nicola Andreatta, 47 ans, a déjà une carrière très riche dans le secteur horloger. Et rares sont les patrons du groupe Richemont qui, comme lui, peuvent revendiquer un passé d’entrepreneur. Il dira en avoir connu toutes les facettes, des plus exaltantes aux plus périlleuses. Né sur les bords du lac de Côme en 1973, Nicola Andreatta reprend la direction de Timeo SA en 2003, sous-traitant horloger alors dirigé par son père et fonde la même année sa propre marque de montre N.O.A Watches, acronyme de None Of the Above, dont il est Président et CEO. Son aventure entrepreneuriale vit un tournant délicat au passage de la crise de 2008. Dans l’obligation de trouver un nouvel élan financier à sa marque, il se rapproche de plusieurs groupes, dont Tiffany & Co. Si la transaction n’a pas lieu, c’est tout de même un rapprochement plus personnel avec le groupe qui s’opère. Laissant son frère aux commandes de N.O.A. Watches, c’est au cœur même de la marque américaine qu’il poursuivra sa carrière, puisqu’en 2013, Nicola Andreatta est nommé au poste de Vice-Président, General Manager de Tiffany & Co., Swiss Watches. Il y développera pendant cinq ans de nombreuses collections, dont la très réussie Tiffany CT60 ou encore la Square.
Le 1er décembre 2018, le groupe Richemont le choisit pour prendre la tête de la marque Roger Dubuis et succéder à Jean-Marc Pontroué appelé aux commandes de Panerai.
C’est à l’occasion d’une rencontre presse organisée en janvier sur les sommets enneigés de Savoie, non loin de la manufacture Roger Dubuis à Plan-les-Ouates, que Nicola Andreatta livre ses visions pour le futur de la marque, qu’il considère comme un laboratoire d’exploration horlogère. Entretien.
Une de vos priorités, selon vos propres mots, semble être de changer la vision du retail, expliquez-nous comment ?
Nous cherchons toujours la réponse à cette question ! Aujourd’hui tout le monde parle de « l’omnichanel », mais la capacité à donner le même message sur tous les points de vente, qu’il soit sur le canal de la vente en ligne ou en boutique n’est pas encore atteint, chez personne. C’est une démarche complexe. Roger Dubuis n’est pas une marque qui génère beaucoup de trafic en boutique. Seuls quatre à cinq clients par jour y passe la porte. Alors faire évoluer cela dans un espace expérientiel, tout en trouvant la manière de connecter le client au monde digital… La vraie question est de savoir si la marque a vraiment besoin de magasins Roger Dubuis….
Je vous retourne la question…
J’aime bien l’idée de lounge. Cela fait six mois que nous étudions la question, en mettant tout à plat. Que veut le client ? Comment veut-il acheter ? A la boutique de Genève, le personnel qui y travaille voyage, à la rencontre des clients en Chine, à Singapour, au Vietnam, aux Philippines. Ce qu’il faut, c’est un point de contact. Et ce n’est pas forcément une boutique… Je voudrais transformer ce lieu à la dimension d’un temple, une place où vous trouvez les valeurs dans lesquelles vous croyez. Qu’il devienne comme un lieu de pèlerinage, dans chaque ville. C’est pourquoi la manière de lier la culture locale au monde de Roger Dubuis sera primordial.
Est-ce que pour Richemont, Roger Dubuis est la marque qui peut tester ce genre d’approche ?
Bien sûr, et je veux même l’accentuer ! Roger Dubuis fait office de laboratoire pour le groupe, elle doit garder son approche disruptive, son extravagance.
Justement, quelles ont été vos premières mesures, en arrivant à la tête de la marque en décembre 2018 ?
J’ai été très lent. J’avais besoin de comprendre la marque, la culture, les collaborateurs. J’ai beaucoup voyagé, visité toutes les boutiques Roger Dubuis pendant 6 mois. Ma première mesure fut de regrouper les forces, passablement divisées. La gestion managériale était conçue en silo. J’ai voulu changer la culture de la maison, recentrer sur l’humain. La moitié du comité de direction a d’ailleurs changé.
En parlant de changement, est-ce que vous pourriez imaginer rendre certaines de vos collections plus accessibles?
Non, nous ne pouvons pas à la fois viser les volumes et produire des montres à très grandes complications. La tendance va plutôt à l’augmentation du prix moyen.
Si l’on part de l’idée que vous produisez 3000 montres par an, quel pourcentage représentent vos montres d’entrée de gamme ?
Je n’ai jamais parlé de quantité produite par an. Je ne vais donc pas confirmer votre chiffre, mais ce que je peux vous dire c’est que ces gammes-là représentaient, il y a trois ans, 1/3 de la production. Aujourd’hui, nous en comptons moins.
C’est un risque financier…
Non. Car nous vendons beaucoup mieux les pièces haut de gamme. Notre atout réside dans ces montres à grande complication, la concurrence y est moins forte.
Quel sera le prix d’entrée pour une Roger Dubuis ?
Environ 40'000 francs.
Aujourd’hui, l’urgence climatique pousse les sociétés à redéfinir leur parrainage. Vos partenariats avec Pirelli et Lamborghini seront-ils maintenus ?
Oui. Dès lors, il est compliqué pour nous de parler de « green ». Notre attention est portée sur la responsabilité sociale et l’éthique ; dans le respect des métiers artisanaux.
Est-ce que vous avez déjà ressenti des réticences exprimées par vos clients concernant vos partenariats ?
Non, ils ne nous en parlent pas. La dimension éthique dans le business est tout aussi importante. Faire attention à l’humain, son bien-être, c’est mon cheval de bataille. Je voudrais vraiment inculquer cet esprit à tous les collaborateurs. Je ne suis pas pour les grandes annonces qui font du bruit, je préfère une attention rigoureuse de la part de chaque collaborateur aux gestes écoresponsables.
Par le passé, vous avez fondé et développé votre propre marque de montres. Qu’avez-vous appris de cette carrière d’entrepreneur ?
J’ai vu et expérimenté toutes les dimensions de l’horlogerie avec ma marque. Je m’occupais du marketing, des ventes, du processus industriel. Cette expérience me permet aujourd’hui un regard éclairé sur chaque département. Je ne suis pas le typique financier que l’on nomme à la tête d’une marque. Je connais tous les ressorts du métier. L’avantage de l’entrepreneuriat, c’est la liberté. Mais la différence capitale qu’apporte un groupe comme Richemont, c’est la force financière.
Justement, quel est l’objectif de croissance ?
Concentrer nos efforts sur le haut de gamme et les complications horlogères innovantes et ainsi générer de la croissance.
Partager l'article
Continuez votre lecture
S'inscrire
Newsletter
Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.