StratégieAcadémique

Mercedes Abramo: «Les gens aspirent à la connexion et à l’expérience humaine»

Lors d’une conférence académique donnée à l’EHL, il y a quelques semaines, Mercedes Abramo, directrice commerciale adjointe chez Cartier, s'exprimait sur l’évolution des expériences dans le secteur du luxe. L'occasion pour Cartier d’annoncer son partenaire lié à la nouvelle spécialisation en gestion des expériences de luxe du Master in Hospitality Management (MiHM) de l’EHL.

Mercedes Abramo, directrice commerciale adjointe de Cartier (DR)

Le 29 février dernier, Mercedes Abramo, directrice commerciale adjointe chez Cartier, était invitée à s’exprimer à l’occasion d’un Cartier Academic Talk, tenu à l’EHL Hospitality Business School (EHL). Cet événement, organisé en collaboration avec l’EHL, le Swiss Center for Luxury Research et pour lequel Luxury Tribune était le partenaire média, a permis d’explorer, face aux étudiants venus en très grand nombre, le thème «The Human Factor in Luxury». Prof. Markus Venzin, CEO du Groupe EHL et hôte de la conférence a tenu à souligner en préambule le rôle significatif du commerce de luxe dans les carrières des diplômés de l’EHL. Dr Florent Girardin, professeur associé de marketing à l’EHL, a, lui, relevé la convergence du commerce de luxe et de l’hôtellerie, avec pour objectif la création d’expériences immersives allant bien au-delà de la traditionnelle acquisition d’un produit.

À l’occasion de cette conférence, Cartier et l’EHL ont conjointement annoncé la signature d’un partenariat pour faire progresser le management dans le secteur du luxe. À une époque où l’excellence du service et les expériences d’accueil sont essentielles pour les marques du secteur, ce partenariat vise à exploiter les principes de gestion de l’accueil pour renforcer l’engagement des consommateurs et développer des concepts innovants. Cartier sera le partenaire officiel de la nouvelle spécialisation en gestion des expériences de luxe du Master in Hospitality Management (MiHM) de l’EHL.

Felicitas Morhart, fondatrice du Swiss Center for Luxury Research et professeur de marketing à HEC Lausanne et Mercedes Abramo, directrice commerciale adjointe de Cartier, sur scène, à l'occasion de la conférence intitulée "The Human Factor in Luxury" à l’EHL Hospitality Business School (DR)

La conférence, modérée par Felicitas Morhart, fondatrice du Swiss Center for Luxury Research et professeur de marketing à HEC Lausanne, a permis de mieux appréhender les liens étroits entre les principes de l’hospitalité dans la vente au détail de produits de luxe, la personnalisation du service et l’utilisation stratégique de la technologie. Extraits choisis.

Lors d’une interview, vous avez déclaré avoir le commerce de détail et le service dans le sang. Pouvez-vous nous expliquer votre point de vue sur «l’art de l’hospitalité» et la manière dont il infuse l’approche de Cartier en matière d’accueil des clients dans les boutiques?

J’ai grandi avec les codes du secteur du retail, car mes parents, plus précisément mon père, travaillait dans la vente au détail de produits de luxe à New York, dans un grand magasin qui n’existe malheureusement plus. Il m’a inculqué la culture du service et m’a toujours répété que le client était l’élément clé de notre activité. Cependant, j’ai fait le choix de commencer ma carrière dans l’hôtellerie. J’ai adoré travailler au contact des clients, que ce soit à la réception ou au service.  J’aimais anticiper leurs besoins, évoluer dans des secteurs qui demandaient une présence à des heures inhabituelles. Puis, lorsque j’ai rejoint la vente au détail chez Cartier, j’ai compris que la création était au centre de tout, et qu’il était important d’équilibrer cette synergie entre le produit et le client. Nous avons la chance que les gens viennent nous voir à l’occasion de moments heureux de leur vie, un mariage, un anniversaire, une réussite. Il est bien sûr important que le client apprécie la montre ou le bijou qu’il va acheter ou porter, mais il est primordial qu’il se souvienne de la façon dont le vendeur a interagi avec lui et qu’il puisse poursuivre cette relation de confiance.  

J’imagine qu’il vous faut beaucoup d’empathie pour ce travail, est-ce quelque chose qui s’apprend?

Certaines personnes sont probablement nées avec cette capacité, que l’on peut appeler l’intelligence émotionnelle. Mais je pense que cela s’apprend. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’être à l’écoute des personnes qui se trouvent en face de vous.

Il existe un article académique très célèbre publié dans le JCR («Journal of Consumer Research») par Morgan Ward et Darren Dahl en 2014 sous le titre : «Should the Devil Sell Prada?» Dans cet article, les chercheurs constatent que lorsque les clients perçoivent un rejet ou un traitement arrogant de la part du personnel d’une boutique de luxe, ils ont tendance à acheter davantage afin de restaurer leur image de soi – une sorte d’acte d’affiliation avec un cercle désirable, voire élitiste. Avez-vous déjà vécu ce phénomène et, si oui, les choses ont-elles changé?

Je ne souhaite à personne de vivre ce genre d’expérience. Beaucoup de choses ont évolué, en particulier au cours des dernières années. Nous avons connu la pandémie, les fermetures, le confinement, puis la phase post-pandémique. Aujourd’hui, les gens ont besoin d’un lien humain profond et d’expériences inoubliables auxquelles nous aimerions contribuer. Il s’agit de vous enchanter, de vous faire entrer dans notre communauté et de le faire de manière privilégiée.

Dans les années 90, le futurologue américain John Naisbitt a déclaré que plus nous sommes entourés de technologies, plus nous avons besoin du contact humain. Est-ce quelque chose que vous constatez ?

Dans notre environnement, la technologie sert de catalyseur. Elle permet de rendre l’interaction plus fluide. Elle supprime les points de friction. Il y a vingt ans, nous passions du temps à inscrire des ventes sur un papier. Aujourd’hui, la technologie nous permet de consacrer plus de temps au client. Le consommateur sait que la technologie est là, en support et en coulisse; ils ne viennent pas nous voir pour cela, mais pour s’évader.

Les étudiants de l'EHL étaient venus en nombre assister à la conférence (DR)

Vous dites avoir aimé être sur le terrain, en connexion avec les clients. Avez-vous encore le temps pour cela?

Lorsque je voyage, je veux absolument visiter les boutiques, parler avec les gens, rencontrer les équipes, leur poser des questions sur les défis à relever. C’est vraiment la partie de mon travail qui me procure le plus d’énergie, c’est également essentiel pour être en prise avec le marché, la réalité, les défis du terrain. Je crois savoir que l’un des aspects les plus appréciés de mon leadership, de la part de mes collaborateurs et collaboratrices, c’est le fait que je comprenne mes équipes, que je m’intéresse à eux.

Si vous deviez élaborer un programme d’études qui définirait la meilleure façon de façonner un esprit du luxe, quel serait-il?

J’ai visité le campus de l’EHL et je peux vous dire que tous les sujets appréhendés par les étudiants, les apprentissages liés à l’hôtellerie sont fantastiques, car ils donnent l’assurance d’acquérir des codes de compréhension du monde réel. Lorsque nous recrutons des talents et que nous parlons aux plus jeunes, ils me demandent souvent : «Qu’est-ce que je devrais faire?». Je leur réponds qu’ils devraient travailler dans un magasin, dans un hôtel, qu’ils devraient faire l’expérience du terrain. Il n’y a pas de petit travail. Il est essentiel d’avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour commencer au bas de l’échelle.

Pouvez-vous également nous parler des défis spécifiques que vous avez relevés dans votre vie et en matière de leadership ?

Les défis sont précisément les changements intervenus pendant la pandémie. Ce virus nous a imposé de réfléchir différemment, de nous adapter très rapidement à une nouvelle façon de fonctionner. Le défi consiste à confier ces rôles importants aux bonnes personnes, en qui vous avez confiance et qui peuvent travailler de manière indépendante. Il est capital de bien définir les paramètres qui définissent notre façon de communiquer les informations et sur le bon timing à fixer. La diversité du profil de nos clients a tellement changé. Nous avons dû ouvrir le cercle de nos communautés.

Avez-vous constaté une évolution dans l’importance du «facteur humain» dans votre rôle de dirigeant?

Je pense que c’est un cheminement. Lorsque j’étais aux États-Unis, les gens m’encourageaient à révéler qui j’étais. Je n’étais pas habituée à cela, car j’estimais que la vie privée et la vie professionnelle devaient être séparées. Mais je me suis rendu compte qu’aujourd’hui, de plus en plus d’employés recherchent cela chez leurs dirigeants, ils veulent savoir qui vous êtes, pourquoi vous êtes là, comment vous contribuez au monde. Quelqu’un m’a finalement dit «arrête d’essayer d’être ce que tu penses qu’ils veulent que tu sois, sois toi-même» et cela a été un déclic utile. J’espère que j’apporterai un sentiment d’humilité et de sensibilité à ce sujet, et que je saurai faire entendre qu’il n’y a pas de mal à partager ponctuellement ce que l’on ressent. Nous sommes dans le domaine de l’émotion, les clients viennent nous voir pour célébrer ou marquer une occasion, je pense donc que l’intelligence émotionnelle devrait faire partie de nos superpouvoirs.

Alors, qui est Mercedes Abramo en dehors de son rôle de directrice commerciale adjointe?

Quelqu’un d’authentique. Le plus grand compliment que l’on puisse me faire, c’est «elle est facile d’approche et elle a les pieds sur terre».  Je trouve cela très important. 

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