«Même en période de crise, l’excellence ne se brade pas»
Le Beau-Rivage Palace à Lausanne a engagé d’importants travaux de rénovation malgré la baisse significative de ses revenus liée à la crise sanitaire. Ses stratégies se concentreront sur la clientèle à haute contribution et la dimension bien-être.
A peine les rénovations du Spa Cinq Mondes achevées, voilà l’aile Beau-Rivage désormais en travaux et entièrement condamnée. Les dix prochains mois seront consacrés à la rénovation des 68 chambres. Nathalie Seiler-Hayez, diplômée de l'Ecole hôtelière de Lausanne, aux commandes du palace depuis cinq ans, raconte comment la pandémie affecte l’établissement lausannois, et expose ses stratégies pour le positionner au sommet des destinations bien-être dans le monde.
Comment le Beau-Rivage Palace traverse-t-il financièrement la crise sanitaire et économique actuelle?
Financièrement, la situation serait très compliquée sans le soutien de la Fondation de Famille Sandoz. D’ici à la fin de l’année, nous prévoyons un manque à gagner d’environ 20 millions de francs sur le chiffre d’affaires lié à l’hébergement. C’est colossal! Nos coûts fixes sont très lourds. Nous avions pourtant bien commencé l’année grâce aux Jeux Olympiques de la Jeunesse. Et puis, tout d’un coup, tout s’est arrêté, le 16 mars, jour de la fermeture de l’établissement.
Comment l’avez-vous vécu?
Cela a été très dur. Il a fallu d’abord réaliser que bientôt l’hôtel serait vide et que l’activité allait être en suspend pour un temps indéfini. Et puis très vite, communiquer aux 400 employés de rentrer à la maison. Tous ont été mis au chômage technique, sauf environ 5% de l’effectif, pour la plupart des membres du management. Nous avons constamment gardé le contact, motivé au maximum les équipes, organisé des rendez-vous digitaux pour que le moral reste bon. Personnellement, j’ai fait le choix de venir tous les après-midis – les matins étaient consacrés au suivi des cours avec mes enfants. Voir l’établissement vidé de ses collaborateurs et clients a été un choc. J’ai beaucoup déambulé dans tout l’hôtel. Les murs vous parlent différemment lorsqu’il n’y a personne. Je me suis replongée dans l’histoire, regardé des tableaux auxquels je n’avais jamais prêté attention. J’ai redécouvert des lieux, j’ai relu les événements autour du traité de Lausanne (NDLR: traité de paix signé le 24 juillet 1923). J’ai encore mieux appréhendé le poids et la richesse de l’histoire du Beau-Rivage Palace. Imaginez-vous, nous n’avions jamais fermé en 160 ans et deux guerres mondiales!
Quelles ont été les stratégies engagées pendant la fermeture pour tenter de rattraper les pertes?
Dans l’hôtellerie, ce qui est perdu ne peut être rattrapé, c’est un management qui est adapté à l’instant. Il faut être doué d’une très grande réactivité à la conjoncture. Et le plus difficile, c’est qu’il n’y a aucune visibilité, à l’heure actuelle. Nous avons donc décidé de mettre en action et d’accélérer plusieurs mesures, la première étant celle de fermer l’aile Beau-Rivage pour sa rénovation. Il s’agit de la plus ancienne de l’hôtel construite en 1861. Nous avions initialement planifié les travaux sur trois ans, en condamnant chaque hiver un étage. Mais la situation actuelle nous a incité à accélérer le mouvement et à tout rénover en dix mois.
Cela demande une agilité financière importante de la part des propriétaires. Quel est le montant des investissements et comment la Fondation de Famille Sandoz a-t-elle réagi à ce plan?
Ces travaux nécessitent 25 millions d’investissement pour 68 chambres. Nous les transformons sans casser les murs, ni perdre de clé. Il a bien sûr fallu argumenter ce choix sur la base des baisses de taux d’occupation de 2020, et des années suivantes. Car il faut être réaliste, la situation est catastrophique. Et nous partons pour plusieurs années probablement compliquées. A partir de là, bloquer l’aile pendant dix mois, alors qu’elle aurait être très difficile à remplir, m’a semblé être une bonne stratégie.
Quel est votre taux d’occupation actuel?
Il est de 30% au lieu de 90% sur 168 chambres. Nous avons tout recentré sur la Suisse, nous avons beaucoup développé le marché suisse alémanique, et cela fonctionne plutôt bien. C’est une clientèle que nous n’avions pas. Mais le chiffre d’affaires lié à la clientèle «corporate» n’est plus là. Aujourd’hui tout est à l’arrêt. Les mariages, les séminaires, les «incentives» sont reportés, au mieux pour 2021, et les budgets des sociétés américaines ne sont pas replanifiés avant 2022. Nous allons perdre 6 millions de francs liés aux banquets.
Et vous venez de terminer la rénovation du spa, qui, là aussi, a nécessité des investissements…
Oui, sa rénovation a coûté 4,5 millions de francs. Mais tous ces investissements sont justes, car ils valorisent la dimension patrimoniale de l’établissement. Ils sont parfaitement intégrés dans notre plan qui se déploie sur trois axes: continuer à développer la clientèle à très haute contribution, développer le secteur du bien-être pour le placer au centre de toutes nos offres et services et poursuivre la valorisation de la dimension locale, pour une meilleure traçabilité. La clientèle top luxe sera encore plus exigeante à l’avenir, nous devons être prêts à lui offrir le meilleur.
Quelles sont vos références justement dans cet ultra luxe?
Ce sont des exemples plus urbains, à Londres, à Paris. J’y ai moi-même construit ma carrière avant de diriger le Beau-Rivage Palace, au Connaught à Londres, entre autres. Le luxe s’est bien sûr démocratisé, mais encore aujourd’hui, on ne se proclame pas Palace, c’est le client qui vous confirme dans ce standing, par une combinaison très fine de détails et services que vous pouvez lui offrir: l’histoire, le service, l’attention constante au détail, la personnalisation.
La nouvelle génération qui compose le conseil d’administration de la Fondation de Famille Sandoz y est-elle sensible?
Oui, le Beau-Rivage Palace fait partie de son histoire, y compris pour cette nouvelle génération. Ils y sont très attachés. La preuve, les financements pour la rénovation ont été tout de suite débloqués. Et je dois dire que la Fondation a été formidable dès le début de la crise. Tous les salaires des 400 employés au chômage technique ont été compensés à 100%.
Est-ce que des chambres réservées aux super VIP seront spécialement aménagées?
Cette surenchère du luxe, avec une course à la suite dont l’espace, l’aménagement et le prix sont extrêmes, c’est terminé. Le luxe c’est la rareté du raffinement, de l’excellence, de la rencontre. Le produit doit être magnifique. Il faut anticiper les besoins du client. C’est la vraie valeur ajoutée à la clientèle suite. Et bien sûr la notion du bien-être.
Expliquez-nous?
Nous allons travailler à intégrer cette notion dans tous les services. Nous allons disposer d’un concierge wellness par exemple, qui s’occupera d’un programme sur-mesure pour le client qui le souhaite. C’est une offre holistique pour le plaisir d’une vie saine. Mais à aucun moment nous n’allons devenir un centre de santé. Le Beau-Rivage Palace est un hôtel Resort qui offrira le meilleur dans cette dimension bien-être, si le client le demande, dès le printemps 2021, quand les rénovations de l’aile Beau-Rivage seront terminées. Grâce à cela, nous allons développer une nouvelle clientèle à l’hôtel. Cette clientèle bien-être devrait représenter environ 10% de nouveaux clients, avec un prix moyen plus élevé, puisque ce seront des clients «suite».
Quel est votre prix moyen actuel?
Actuellement notre prix moyen est de 610.- francs sur une clientèle à haute contribution.
Est-ce que la clientèle résidant à l’année dans les palaces est encore présente ?
Nous n’en avions plus. Par contre, nous comptons une vingtaine de clients qui résident quatre à cinq mois par an, de manière continue ou discontinue à l’hôtel. Ce sont surtout des clients américains, brésiliens, mexicains et japonais. Très peu d’Européens. Car ils ont encore une tradition de résidences secondaires, des codes familiaux classiques lié à l’histoire de l’Europe. Le fait de tout vendre, de ne plus avoir d’attaches et de se trouver dans des hôtels, c’est très américain.
Est-ce que tous les collaborateurs sont à nouveau au travail?
Cela dépend des services. Nos équipes de restauration sont très sollicitées, mais ce n’est pas tout à fait le cas du côté de l’hébergement ou des banquets. Avec une structure palace, le service doit être là, que l’hôtel soit occupé à 30% ou à 80%. Le service doit être le même et les coûts fixes sont très lourds. Actuellement, pratiquement toutes nos suites sont occupées, sur des séjours de quatre à cinq jours. C’est une très belle clientèle suisse. Pour l’attirer, nous avons actionné quelques synergies communes avec le Baur au Lac et le Badrutt’s Palace. Quant au pôle hôtelier de la Fondation, Chaque hôtel a son positionnement clair, chacun adapte donc ses stratégies en fonction de ses clients. Nous travaillons en synergie dans d’autres domaines.
La Riviera Vevey et Montreux mènent des actions communes intéressantes sur les prix, regrettez-vous ne pas en avoir de semblables?
Le canton de Vaud en a créées, et les commerces ont pu en profiter. Lausanne Tourisme a également lancé une importante campagne publicitaire pour promouvoir la destination en Suisse alémanique. Du côté du Beau-Rivage, nous ne menons pas d’action promotionnelle sur les prix, car l’excellence ne se brade pas. L’image d’un Palace est essentielle. Les dommages seraient trop importants. Ce serait un piège que de céder à la tentation d’une politique financière à court terme.
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