Luxe: les trois phases qui redresseront la barre
La dernière étude Boston Consulting group (BCG) «A new era, and a new look for luxury» anticipe la reprise des affaires en trois phases. Mais l’industrie du luxe ne redressera la courbe qu’au prix de certaines remises en cause. Décryptage exclusif.
Les événements actuels transforment l’envie et la manière de consommer. Parce que la crise sanitaire s’est rapidement accompagnée d’une crise sociale liée aux inégalités, les sensibilités concernant l’iniquité impactent fortement la manière dont les marques de luxe se positionnent dans la sphère publique. Un luxe ostentatoire, qui ne prend pas garde aux préoccupations de diversité et d’inclusivité ne passe plus. C’est ce que l’étude qualifie de phase de «mise à plat». Si passablement de marques de luxe ont participé activement à la lutte contre le coronavirus en produisant surblouse, gel hydroalcoolique, et en préservant l’emploi de leurs salariés, cet engagement social doit maintenant passer par une réévaluation en profondeur de la chaîne de valeurs, en prouvant une meilleure intégration de la composante environnementale et éthique. Car pendant la pandémie, les consommateurs ont acquis une meilleure conscience du bien le plus précieux: leur santé et celle de la planète.
Les chances de reprises ne sont pas égales pour tous.
Selon le BCG, les marques de luxe ne sont pas toutes affectées de la même manière. Les marques dont les produits sont perçus comme intemporels ne seront pas affectées aussi durement que celles qui sont directement liées à un effet de mode. Pour Filippo Bianchi, co-auteur de l’étude, Managing Director & Partner BCG: «Les marques qui sont perçues comme intemporelles, discrètes et éternelles suscitent l'intérêt des consommateurs, car elles vont dans le sens d'une appréciation générale de la sobriété et de la qualité qui est au cœur des valeurs traditionnelles du luxe. Les Occidentaux anticipent l'"ère de la sobriété", alors que pour les Chinois, cette nouvelle ère est encore un peu lointaine. Nous avons même observé une résurgence de l’extravagance, en Chine, qui a été confirmée par notre enquête : la préférence pour les valeurs extravagantes du luxe a augmenté de ~14% pour les Chinois, alors qu'elle a perdu ~9% chez les Occidentaux. Dans tous les cas, des marques emblématiques comme Hermes, Chanel, Cartier, Rolex, gagnent la course dans les deux sens. Après la crise, il y a toujours une "fuite vers la qualité", et les consommateurs veulent acheter un produit dont la valeur est incontestable, comparable à un investissement. Ces marques bénéficieront de ce mode de consommation, ce qui leur permettra de gagner des parts de marché.»
Après une crise, il y a toujours une "fuite vers la qualité". Les consommateurs veulent acheter un produit dont la valeur est incontestable, comparable à un investissement
Filippo Bianchi, co-auteur de l’étude, Managing Director & Partner BCG
Et au-delà de ce constat, les secteurs «du skin care, du maquillage, des chaussures et de la maroquinerie sont en meilleure position pour un rebond des ventes, car ils sont moins liés à la saisonnalité, aux vacances et aux autres moments clés, les fortes ventes en ligne actuelles le démontrent. Leurs ventes vont décliner en 2020, mais reprendre de la vigueur rapidement, et retrouver les niveaux pré-crise en 2021 ou 2022.». Par contre, les secteurs de l’horlogerie et de la joaillerie seront davantage affectés, car très dépendants des points de vente physiques et des voyages internationaux. Les ventes de prêt-à-porter, elles, chuteront de 35% à 50% cette année et ne reprendront leur niveau de 2019 qu’en 2023.
Quant aux régions du globe et leur possible résilience, c’est la Chine qui s’en sort le mieux selon Filippo Bianchi : «le pays devrait enregistrer une hausse de 10% des ventes en 2020 par rapport à 2019. Quant aux autres marchés, nous prévoyons une baisse de -50% à -60% pour le marché italien et la France, de -35% à -45% pour le Royaume-Uni, de -30% à -40% pour les Etats-Unis et de -40% à -50% pour le Japon.»
Deuxième phase: attaquer en profondeur la digitalisation
Après cette première phase de «mise à plat» qui a incité les sociétés à protéger leurs employés, mais également leurs liquidités, «les marques de luxe doivent progresser vers la phase de «combat», où elles doivent réinitialiser et rationaliser leurs opérations, et investir simultanément dans des processus qui leur permettront de performer lors de la troisième phase future, celle de la «nouvelle réalité du luxe».
Cette deuxième phase concerne prioritairement l’accélération de la mise en place des canaux digitaux. L’habitude de consommer online pendant la crise sanitaire est une tendance lourde qui perdurera définitivement auprès du consommateur. Mais elle n’implique pas uniquement la mise en place d’un site e-commerce propre à la marque et à l’activation de plateformes multimarques telles que Net-à-Porter et Farfetch, elle concerne également le renforcement des réseaux sociaux comme source première de désirabilité pour la marque. Selon l’étude, «en plus de la vente de biens de luxe, les canaux numériques sont devenus des points d'inspiration essentiels dans la phase de préachat. (…) Plus de 70% des consommateurs de la génération Z (jusqu’à 25 ans) et même 82% des jeunes américains décident ce qu’ils vont acheter lors de cette expérience digitale sensée les inspirer et les séduire avant l’achat».
Investir dans l’intelligence artificielle pour prédire la demande.
Ces investissements substantiels ne pourront se faire sans un ajustement des pertes et profits. Loyers, masses salariales, coûts marketing seront les premiers touchés. Mais une relocalisation de la production et une plus grande agilité face à la demande, permettront également d’orienter la marque vers de meilleurs choix stratégiques. C’est la troisième phase de la reprise: investir dans l’intelligence artificielle et l’approche clientèle 2.0. Cette technologie permettrait de simuler, pour mieux anticiper et programmer un lancement de produit et réduire les coûts. C’est ce que l’étude «A new era, and a new look for luxury» appelle «le bionic opertaing model», mêlant capacités humaines et technologiques.
Selon le BCG, «l'adoption de l'intelligence artificielle (IA) et ainsi de l'analyse technologique des données à l'échelle de l'entreprise deviendra un facteur clé de différenciation. Si la phase de lutte pour sortir de la crise se poursuit pendant un certain temps, il pourrait être difficile de prévoir les tendances, du moins à court terme. L’intelligence artificielle pourrait permettre à la marque de vérifier les habitudes d'achat et d’améliorer le suivi et l'analyse de la demande afin d'obtenir des informations que les concurrents n’auraient peut-être pas.»
La capacité de résilience de l’industrie du luxe ne fait aucun doute. Mais cette fois, ce sera au prix de grandes remises en question de son modèle de production, de ses valeurs et de sa capacité à se profiler sur les canaux digitaux et au cœur du discours social.
Pour lire l'étude complète: cliquer ici
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