L’évolution des notions de matérialisme et de statut dans un monde toujours plus digital
By Isabella Hübscher20 janvier 2022
Notre monde devient de plus en plus numérique. Cela n'affecte pas seulement nos valeurs et représentations de nous-même, mais également la notion de possession.
Un grand nombre d'objets matériels se sont aujourd'hui dématérialisés. Ce phénomène affecte également les produits de luxe, en influençant les valeurs du luxe telles que la rareté, l'unicité et la permanence. Mais peut-on vraiment affirmer que le matérialisme est en déclin? Russell Belk se penche sur ce phénomène dans son analyse à lire dans l’ouvrage Research Handbook on Luxury Branding édité par Felicitas Morhart, Keith Wilcox et Sandos Czellar.
La numérisation et la dématérialisation de la consommation sont aujourd’hui deux phénomènes liés à l'économie dite de partage. En d’autres termes, lorsque nous partageons des objets, nous n'avons pas besoin de les posséder, ce qui réduit le nombre d'objets nécessaires. L'internet et les appareils numériques ont facilité le partage avec des tiers, ainsi que le partage commercial. Ces notions suggèrent que l'importance de la propriété est en déclin, et il est possible que les générations qui grandissent avec le numérique soient moins attirées par la possession de biens allant des vêtements aux véhicules et aux maisons. En outre, la location ou le leasing d'articles coûteux et prestigieux peut être un moyen d'améliorer le style de vie des individus. Un moyen de permettre l’accès à des produits de luxe inabordables pour certains consommateurs.
Dématérialisation ne signifie pas l’arrêt de la matérialité
Néanmoins, même si l'on observe une dématérialisation, on ne peut pas affirmer que la plupart des biens de consommation deviennent immatériels. La nourriture, l'ameublement, les véhicules et les vêtements de la plupart des individus seront encore la propriété de chacun. D’autre part, la prolifération du numérique entraîne également une multiplication de nouveaux appareils numériques, afin d'acquérir ou d'accéder à ces contenus. En outre, l’obsolescence et le cycle de renouvellement de ces appareils est très rapide. Cela est d’autant plus vrai que toutes les classes sociales aspirent à cette technologie, les consommateurs les plus défavorisés économiquement ayant tendance à sacrifier des biens essentiels pour accéder à ces derniers.
Différences culturelles et temporelles
De nos jours, le statut est souvent marqué par la somme de nos connaissances, plutôt que par ce que l'on possède, ce qui souligne une fois de plus la montée du concept de dématérialisation. Même si les opinions actuelles mettent souvent l'accent sur le fait que les comparaisons et les conflits de classe ont été remplacés par des politiques identitaires et des divisions fondées sur la race, le sexe et le mode de vie, les comparaisons de classe restent présentes dans notre société. Les milieux académiques donnent souvent l'exemple d'un contexte récurent aux Etats-Unis, celui de classes aisées américaines, dont le statut est lié à la connaissance et à la consommation de produits bio, durables et de production locale. Souvent plus onéreuse, elle est également liée à une forme d’éducation, de connaissance.
Une autre forme de différenciation culturelle liée au luxe est celle de se distinguer ou se conformer. En effet, bien que la consommation de luxe soit généralement considérée comme un moyen de se distinguer des autres, dans certaines cultures, il s'agit plutôt de s'intégrer. Ces deux objectifs sont liés à des processus de comparaison sociale, dont la différence réside dans le fait de s'aligner sur ses pairs ou de les dépasser.
Vivons-nous dans une ère post-matérielle?
Les spécialistes affirment qu'avec l'arrivée de la prospérité sociale, permettant de satisfaire les besoins et les désirs fondamentaux de la plupart des consommateurs, nous entrons dans une ère post-matérielle où, après avoir satisfait nos besoins dits du quotidien, nous nous tournons vers des besoins supérieurs tels que l'accomplissement de soi. Cependant, les faits suggèrent qu'au lieu de diminuer, l'incidence du matérialisme dans le monde augmente et se répand. Il semble que lorsque le statut est plus incertain, les individus sont plus enclins à le démontrer par une consommation matérialiste visible. Le matérialisme est encouragé par les achats de luxe qui améliorent les humeurs positives et augmentent le sentiment de bien-être. Mais plus généralement, la consommation ostentatoire est liée à la préoccupation du statut, principalement guidée par le mécanisme de l'envie, dans un souci de comparaison sociale.
Le capital culturel comme forme de dématérialisation
De plus, les chercheurs suggèrent que la problématique de classe sociale est reproduite par le biais du capital culturel non matériel. Le capital culturel est constitué de connaissances et de goûts qui sont généralement acquis et transmis par l'habitus obtenu auprès des parents, des amis ou de l'éducation. Il peut s'agir de notre façon de parler, de nous habiller, de nos manières et de nos opinions politiques. Mais grâce à l'internet, une partie au moins de ces connaissances peut être acquise en quelques clics. En effet, à l'ère numérique, il faut ajouter ce que l’on appelle le capital information. Cela implique d'avoir accès à internet et aux technologies et de savoir comment les utiliser avec succès pour obtenir des informations. En même temps, il est important de souligner qu'il y a une prise de conscience croissante des inconvénients et des dangers de l'ère numérique. La peur de manquer quelque chose fait que de nombreux appareils et applications numériques sont passés du statut de luxe à celui de nécessité, puis à celui de dépendance.
S'il semble que le matérialisme et la recherche de statut peuvent disparaître à l'ère de la dématérialisation du numérique et du partage, ce constat est pourtant loin d'être la réalité. Les humains s'adaptent et continueront de s'adapter aux circonstances matérielles et non matérielles, même si les manières d'exprimer ou de rechercher un statut diffèrent.
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