Que l'art, la beauté et le bien-être soient étroitement liés n'est pas nouveau. Aux yeux de l'agenda européen de la culture, il est essentiel, dans des sociétés fondées sur le bien-être, d'investir dans le secteur culturel afin de favoriser le développement social et économique.
Le lien entre culture et bien-être social est d’une grande importance, à l’heure où l’art est progressivement devenu un bien de consommation de masse. Que signifie, dès lors, visiter une exposition? Pour Donald Sassoon, historien et écrivain britannique de renommée internationale, assister à une exposition d'art comporte plusieurs significations: «Quand une personne décide de visiter une exposition, elle accomplit une double démarche. La première est celle de l’intérêt porté pour ce qui est exposé. La deuxième réside dans la constitution d’une richesse immatérielle, proche de ce que Pierre Bourdieu, philosophe et sociologue français définit comme le capital culturel. En ce sens, la personne réalise qu’avec cette démarche, elle fait partir d’une élite, puisqu’elle réalise quelque chose que les autres ne font pas, avec pour conséquence le sentiment d’une satisfaction personnelle.»
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Le nouvel Hollywood de l’art
Il suffit de penser au Louvre et à la Joconde, que les touristes se sentent obligés de voir
Donald Sassoon, historien et écrivain britannique
Aujourd’hui, les villes regorgent de lieux de culture visités par des foules immenses, dans le but de contempler des œuvres devenues de véritables superstars, nées au sein de ce que l'on pourrait appeler le «nouvel Hollywood de l'art»: «Il suffit de penser au Louvre et à la Joconde, que les touristes se sentent obligés de voir, poursuit Donald Sassoon. Ce type d’œuvre est au cœur d'un processus extrêmement long et compliqué à décrypter (ndlr, l’auteur y a consacré un livre Mona Lisa: The History of the World's Most Famous Painting) qui, si j’en résume succinctement les points principaux doit intégrer: une histoire unique qui la sous-tend, se trouver dans un musée situé dans une ville touristique, doit être placée à un endroit stratégique et avoir été créée par un artiste connu du grand public.»
Suivre un événement de ce type procure une certaine gratification, sans qu'il faille nécessairement être en présence d'une élite
Donald Sassoon, historien et écrivain britannique
Cet attrait culturel peut être incarné par des figures multiples. A ce titre, l’événement médiatique récent qui a captivé plus de quatre milliards de téléspectateurs en est un: les funérailles de la reine Elizabeth. «Rappelons, tout de même, que la reine est un symbole très fort, qui appartient à un pays au passé impérial, poursuit Donald Sassoon. Suivre un événement de ce type procure une certaine gratification, sans qu'il faille nécessairement être en présence d'une élite.» Dans ces cas, le plaisir vient du partage avec une foule immense et du sentiment de faire partie d’un tout qui nous dépasse.
Organiser des expositions en ciblant l’émotion, comme une forme de divertissement
Nous avons voulu inventer une manière différente d'organiser des expositions, en nous adressons à tous, et non seulement à une élite éduquée
Iole Siena, présidente d'Arthemisia
Conjuguer culture et fréquentation du public est un principe que la présidente d’Arthemisia (acteur leader dans le secteur des expositions) Iole Siena a réussi à mettre en œuvre, puisqu’en 22 ans d'expositions, Arthemisia a organisé 700 exhibitions ayant attiré 60 millions de visiteurs: «Partant du constat que l'art est un élément fondamental de la croissance, y compris sociale, nous avons voulu inventer une manière différente d'organiser des expositions, en nous adressons à tous, et non seulement à une élite éduquée. Nous avons cherché à concevoir les expositions comme une forme de divertissement, comme l'est le cinéma, une démarche qui nous a valu des critiques à nos débuts. Nous avons opté pour un langage simple, des salles immersives, des projections, des audioguides. Nous avons toujours essayé de trouver un équilibre, afin de raconter des histoires et donner de la place à l'aspect émotionnel, en nous rappelant qu'une exposition a de nombreuses lectures. Malheureusement, la pandémie a donné un coup de frein à cet engouement populaire. Nous ne nous sommes pas encore remis des pertes liées au Covid, car le nombre de touristes a diminué et nos coûts ont augmenté. Mais nous essayons de stimuler le public. Nous cherchons des sujets plus concrets pour nos expositions d'art, avec davantage d'art contemporain, comme celle consacrée à l'artiste Jacopo Cardillo alias Jago, qui a accueilli 140 000 visiteurs.» Au-delà de la pandémie, Iole Siena raconte comment les goûts du public ont changé au fil des ans: «Le chef-d'œuvre seul ne suffit plus, les gens veulent comprendre, apprendre, entendre des histoires, s'enthousiasmer. Mais trouver des fonds devient toujours plus compliqué, dans un pays comme l'Italie, où l'on accorde peu d'importance à la culture.»
Pour la présidente d’Arthemisia, l'art a une grande influence sur la vie des gens: «Il a le pouvoir de générer du bien-être, un bienfait validé par des études scientifiques. Nous l’avons constaté lors de la pandémie. Les gens s’étaient inscrits en nombre pour assister à nos visites en ligne via zoom. Et nous sommes également en train de constater ces mêmes effets dans les hôpitaux, auprès des patients.» En 2022, Arthemisia organisera plus d'une vingtaine d'expositions, un nombre encore inférieur de moitié par rapport à la période pré-Covid, mais la satisfaction ne manque pas: «Nous avons réussi à ouvrir et à transformer en lieux d'exposition des espaces importants du point de vue de leur valeur historique, comme le Palazzo Bonaparte à Rome; une formule que nous sommes en train de répliquer dans d'autres villes, car elle contribue à renforcer l'identité d'un lieu. La clé du succès réside dans l’idée que le visiteur doit se sentir valorisé au centre de l’exposition.»
Je pense qu'il est fondamental de valoriser le territoire, de permettre aux gens de redécouvrir la dimension identitaire des lieux à travers ses œuvres
Giacomo Montanari, historien de l'art
Pour l'historien de l'art Giacomo Montanari: «La culture relève aussi d’une connaissance du territoire et des relations qui se sont développées au fil du temps. C'est le point de départ pour devenir des citoyens responsables et pour agir en faveur de politiques culturelles telles que la protection des paysages.» Quant aux expositions, l’historien ajoute que ce sont des événements transitoires. «Je pense qu'il est important de construire un tissu culturel global permanent, qui englobe également des services très simples. A Londres, au Victoria & Albert Museum, par exemple, les familles vont voir une exposition, mais elles peuvent aussi simplement profiter du jardin. Il est important de concevoir la ville comme un pôle culturel. Les églises, les musées, les palais doivent être perçus comme des espaces de culture partagés, accessibles, sans y aller en vénération, mais à fréquenter comme des outils qui servent à redévelopper la zone urbaine de manière positive. Le premier réquisit pour le bien-être d'une ville est le bien culturel. Je pense qu'il est fondamental de valoriser le territoire, de permettre aux gens de redécouvrir la dimension identitaire des lieux à travers ses œuvres.»
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