La Costa Smeralda est-elle encore l’empire de la dolce vita ?

Octobre approche et la frénésie estivale se referme sur une note douce-amère. Le temps des apéritifs au bar du Phi Beach de Porto Cervo semble lointain. Mais déjà, les beautés de la côte d’émeraude, cette langue de terre aux eaux cristallines et aux caractéristiques chromatiques qui lui donnent son nom instillent l’envie d’y revenir. Un attrait auquel le prince Karim Aga Khan IV n’a pas pu résister, ensorcelé par la côte nord de la Sardaigne au début des années 1960. Il a su la façonner, pour en faire la destination la plus exclusive et la plus inaccessible de la Costa Smeralda, qui enchante les VIP et les célébrités.

Aujourd’hui, Smeralda Holding représente le principal investisseur de la Costa Smeralda. Cette entité détenue par Qatar Holding, opérateur de QIA (Qatar Investment Authority), est l'un des plus grands fonds dont la capacité se monte à 295 milliards de dollars. C’est en 2012 déjà que la société dévoile ses ambitions pour cette région de Sardaigne, reprenant l'héritage de l'Aga Khan en poursuivant des objectifs d’envergure en collaboration avec les autorités locales. Aujourd’hui, elle détient les propriétés de luxe les plus exclusives de Porto Cervo, parmi lesquelles les hôtels emblématiques Romazzino, Hotel Pitrizza, Cervo Hotel, Hotel Cala di Volpe, la Marina di Porto Cervo, le chantier naval de Porto Cervo et le Pevero Golf Club, réalisant un revenu de 30 millions d'euros en 2020, sur uniquement 30 jours d’ouverture à cause de la pandémie de Covid-19. En juin 2021, Mario Ferraro, PDG de Smeralda Holding, a confirmé un investissement de 120 millions d'euros destiné à requalifier les actifs et à améliorer la qualité de l'expérience Costa Smeralda.

La clientèle de Porto Cervo n’a pas changé. Elle se compose toujours de grosses fortunes et de nombreux fashionistas. Les plus attachés à la dolce vita sont les clients russes, suivis par la clientèle américaine. La marina est un terrain de jeu pour milliardaires, prêts à payer environ 2 350 euros par jour pour amarrer leur yacht à l'emblématique port de Porto Cervo. En août 2021, les propriétés à vendre affichaient une moyenne de 6 971 euros le mètre carré, soit une augmentation de 2,21 % par rapport à mai 2021 (6 820 €/m²).

La dolce vita de Porto Cervo est une valeur qui monte aujourd’hui et sur laquelle certaines marques typiquement sardes capitalisent. La Revêche est née en 2016 sous l'impulsion de sa créatrice sarde Sara Melis. Décolletés plongeants et audacieux, lignes sophistiquées, applications florales et vêtements sans saison sont au cœur de la marque désormais culte auprès des It-girls du moment, de Valentina Ferragni à Sara Sampaio, de Tina Kunakey à Ola Nowak. «Instagram a été pour notre marque un véritable tournant, affirme Giulia Martinenghi, coordinatrice de presse de La revêche. Les maillots de bain ornés de pétales ont rapidement gagné en notoriété et de plus en plus de célébrités ont commencé à porter et à apprécier la marque, lui permettant de devenir une véritable sensation Instagram.» Mais les médias sociaux sont une épée à double tranchant, capables d’encenser comme de condamner.

Porto Cervo a subi de vives critiques, poussant les habitants à considérer qu'elle n'était pas représentative de la vraie "Sardaigne", connue pour sa nature sauvage et humble. Les questions de durabilité et de sauvegarde de l'environnement sont aujourd'hui des sujets qui deviennent plus pertinents que jamais, et il est urgent pour Porto Cervo de se remettre en question quant à sa tendance consumériste et hautement polluante. Aujourd’hui, les régions du sud de l'Italie comme les Pouilles ou la Campanie concurrencent dangereusement la côte sarde, car parfaitement à même de valoriser leurs terres par des pratiques innovantes et durables.

À cet égard, une petite échoppe de Porto Cervo a su tirer avantage de son unique savoir-faire, proposant des produits sardes authentiques et de qualité, tout en respectant l'environnement. Frades ("frères" en sarde) est né de l'idée de trois frères, Fabio, Roberto et Valerio Paddeu, dont la volonté était d’ouvrir une petite bottega pour combler un manque criant de produits alimentaires haut de gamme, estampillés Costa Smeralda. L'authenticité, les produits de première qualité et une approche locale se sont avérés être des facteurs clés de succès pour Frades, qui est rapidement devenu un haut lieu de l’hospitalité sarde, en ouvrant le premier restaurant à Porto Cervo, appelé La Terrazza.

Michela Peru, responsable marketing et coordinatrice des événements de Frades, raconte: «Frades est né pour valoriser et promouvoir le patrimoine gastronomique et vinicole sarde. Rester authentique et fidèle à nos racines régionales est ce qui rend Frades unique et luxueux. Nous préférons appeler nos clients «nos invités», car nous croyons fermement à la valeur de l'hospitalité sarde. Nous sommes fiers d'avoir une clientèle à la fois internationale et locale, ce qui prouve que notre restaurant reste fidèle à ses origines. Nous offrons une expérience de «luxe décontracté» et notre force réside dans notre authenticité, tout en soutenant l'économie locale.» Un emblème de la gastronomie insulaire qui trouve aujourd’hui un relai à Milan, puisque Frades a ouvert un deuxième restaurant près du Duomo, tout en restant fidèle à ses origines.

Le sable blanc, les eaux cristallines et l'esthétique qui ont toujours fait la force de la Costa Smeralda se muent aujourd’hui en trésor du slow life, une dolce vita sarde qui a conquis les amateurs de beauté du monde entier. Ce même regard qui a forcé l’Aga Khan à plisser les yeux à la vue du soleil brûlant de Sardaigne.