«Je rêverais de réhabiliter le métier de maroquinier en Suisse»
Les frères Defrancesco ont fait renaître la maison de maroquinerie J.Hopenstand. Aujourd’hui basée en Suisse, elle réalise des ceintures haut de gamme et collabore avec des artistes contemporains de renom.
John Armleder, Olivier Mosset, Hans Op de Beeck, Blair Thurman, Sylvie Fleury, Gerold Miller, Johan Creten, Wolfram Ullrich. Des artistes majeurs qui comptent dans le milieu de l’art contemporain. Et qui ont cela de commun qu’ils ont tous collaboré avec la marque J.Hopenstand. Si cette dernière décennie compte un nombre incalculable de collaborations artistiques signées avec des labels de luxe, seules les grandes maisons établies depuis longtemps réussissent habituellement à fédérer les artistes autour de projets. Ici, la marque est jeune, Suisse, et dirigée par deux frères, Rémi et Renaud Defrancesco, arrières-petits-fils de Jacques Hopenstand, maroquinier réputé sur la place parisienne dans les années 30 pour son savoir-faire rare et sa maîtrise des coupes, le choix de ses cuirs et l’assemblage de ses sacs sur-mesure pour les clients et grandes maisons de couture.
Aujourd’hui, les héritiers de cette exigence de qualité ont tout reconstruit, les précédentes générations n’ayant pas poursuivi l’activité. La marque J. Hopenstand naît en 2016. Les jeunes frères ont à peine la vingtaine. Les passions du cuir et d’un savoir-faire maroquinier de grande finesse les incitent à tenter l’aventure entrepreneuriale. Pour se distinguer des milliers de marques existantes, ils décident de se focaliser sur la fabrication de ceintures uniquement et de compléter les modèles classiques par la réalisation d’une collection artistique baptisée Projet A, qui invite des artistes à s’exprimer par la création d’une boucle de ceinture originale.
Rémi Defrancesco le sait, la croissance de la maison J.Hopenstand ne peut passer que par une évolution à taille humaine, puisque tout est autofinancé. Réussir à naviguer dans un univers hautement concurrentiel en pleine pandémie est complexe. Rémi Defrancesco raconte ses stratégies pour y arriver.
Pourquoi avoir décidé de créer la marque J. Hopenstand ?
La marque a été créée par mon arrière-grand-père Jacques Hopenstand en 1925 à Paris, à une époque où il était habituel de se faire fabriquer son sac sur-mesure, comme on allait chez le tailleur pour façonner son costume ou chez le bottier pour sa paire de chaussures. Les grandes marques de maroquinerie d’aujourd’hui n’étaient que des ateliers qui manufacturaient pour des clients. Il n’y avait pas de marque, on cherchait un savoir-faire d’artisan. Pour mon frère et moi, il était important de rendre hommage à son rare savoir-faire en reprenant l’activité, même si nous n’avons pas suivi de formation en maroquinerie. Mon frère est designer et j’ai suivi un cursus universitaire à HEC Lausanne, suivi d’un master en droit de la fiscalité. Rien à voir sur le papier! Mais déjà lorsque j’étais adolescent, je dessinais des pièces en cuir que je faisais exécuter par des artisans. J’ai toujours été attiré par ce matériau. Et la fibre entrepreneuriale ou artistique est dans la famille. Mon autre arrière-grand-père, Paul Séchaud, était peintre officiel de Zermatt et ma famille dirigeait jusqu’à peu l’entreprise Traceroute qui vient d’être revendue à ses employés.
Racontez-nous les débuts de l’aventure
Nous avons réussi avec peu de fonds personnels à relancer la marque. Bien sûr, pour l’heure, nous devons continuer à exercer nos activités principales, moi dans le conseil stratégique aux entreprises, et mon frère dans le design, pour continuer à vivre et à financer l’activité. Nous choisissons des cuirs d’excellence, issus d’animaux qui ont été élevés et traités dans le respect, des tanneries de haute qualité, en Suisse et en France qui travaillent dans le souci de la protection de l’environnement. Les boucles sont produites en France ou en Italie. Nous travaillons avec une trentaine de fournisseurs.
Souhaitez-vous un jour internaliser votre production ?
Oui. À terme, nous souhaiterions internaliser et former des artisans. Mais cela sous-entend des locaux, des équipements et un flux continu de commandes. Et bien sûr réintroduire l’apprentissage de maroquinier qui n’existe plus en Suisse. Je rêve de recréer cette filière, ce savoir-faire.
Comment la Suisse se positionnait-elle à l’époque en matière de savoir-faire maroquinier?
Il y avait une tradition de maroquinerie en Suisse, même au sein de l’armée. La Ville de Lausanne, par exemple, a bâti sa fortune sur les tanneries. La famille Mercier était une grande famille de tanneurs. C’est regrettable que cela soit perdu. Aujourd’hui, l’État finance énormément les start-up dans la tech, à juste titre, mais beaucoup de métiers liés à l’artisanat sont oubliés. Énormément de jeunes ont cette envie de revenir à ces savoir-faire. Lorsque vous visitez les ateliers d’artisans, il est frappant de constater qu’il manque une génération, celle qui a aujourd’hui entre 45 et 55 ans.
Quel est votre business model ?
Nous n’avions pas de but chiffré en commençant l’activité, nous souhaitions simplement produire de la très haute qualité. Maintenant, c’est différent. Nous faisons face à des réalités qui nous poussent à un certain volume de production. Il faudrait que nous arrivions à vendre environ dix pièces par jour, avec un prix moyen de 420 francs (le premier prix est de 340 francs) pour atteindre une certaine rentabilité. Nous en sommes encore loin.
Les collaborations artistiques sont-elles celles qui vous différencient vraiment de la concurrence ?
C’est un projet très intéressant. Nous l’avons conçu comme une œuvre d’art à porter. Peu d’exécutions artistiques se sont appuyées sur la boucle de ceinture. Si l’on y réfléchit, c’est un médium d’une certaine grandeur avec lequel l’artiste peut s’exprimer. Il est visible, unisexe, c’est un bijou à porter. Nous comptons neuf collaborations artistiques aujourd’hui, et la dernière en date, lancée à Art Basel, a été créée par John Armleder. En 2022, nous présentons une très belle collaboration, avec un grand artiste de renom, qui sera révélée à Artgenève.
Avec ces projets, espérez-vous conquérir le public de collectionneurs d’art?
Nous avons effectivement trouvé un public de collectionneurs et Art Basel nous a permis de franchir un palier dans ce milieu. Il reste bien sûr encore du travail à accomplir pour que nos ceintures soient considérées comme des pièces d’art par le plus grand nombre. Cependant, un vrai potentiel existe. C’est un univers que nous connaissons bien, en lien avec notre famille amatrice d’art contemporain.
Comment choisissez-vous vos artistes ?
Nos ceintures n’entrent pas dans la case «projet mode». Nous ne choisissons pas un artiste en fonction du buzz qu’il suscite auprès de la jeune génération. Notre approche est plutôt celle d’un éditeur d’art. Nous ne mettons aucune limite au travail d’artiste.
N’est-ce pas toujours plus complexe de collaborer avec des artistes aujourd’hui, à l’ère du contrôle extrême de l’image?
Cela dépend vraiment de la manière avec laquelle est monté le projet. De notre côté, tout est fait de manière simple et humaine. Nos contrats ne font que deux pages et nous n’avons jamais refusé de projet. Chaque collaboration impose des défis, c’est vrai, et il faut chaque fois trouver le bon équilibre entre l’artisanat et l’artiste. Tout dépend aussi de la manière de les approcher. C’est un milieu très codé où le faux pas est très vite interprété comme une sorte de trahison artistique. La constance et la logique dans les choix artistiques sont primordiales pour être crédibles.
Y a-t-il des artistes avec lesquels vous rêvez de collaborer?
Ceux avec qui nous avons créé des pièces étaient déjà tous des artistes dont nous rêvions. Mais si je dois en nommer un, c’est Franck Stella. Un immense artiste à mi-chemin entre la sculpture et la peinture. C’est une figure sacrée de l’art contemporain. Je suis en contact avec lui et son épouse. Il est à la retraite, mais je ne perds pas espoir. Une collaboration avec lui aurait tout son sens.
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