Toujours plus présent au menu des chefs étoilés, le végétarisme ne se limite pas à quelques légumes vapeur harmonieusement dressés. Loin de là! Il offre un territoire de créativité sans limite qui conjugue ingrédients locaux et raffinement.
En 1989, quand il inaugure «Le Joia», son restaurant gastronomique végétarien à Milan, Pietro Leemann se sent bien seul. Trois décennies plus tard, les choses ont bien changé. «A l’époque, presque personne ne connaissait le végétarisme et encore moins ses effets positifs sur la santé. J’ai dû inventer une cuisine qui n’existait tout simplement pas. Aujourd’hui, c’est devenu un style de vie à part entière qui vise à respecter la planète et les animaux, on s’affirme par ce que l’on mange. Il y a une approche philosophique sous-jacente.» Pour comprendre cette philosophie, le chef s’est rendu en Asie pour y découvrir les fondements du bouddhisme zen et du taoïsme. De longs voyages qui lui ont permis de conforter ses convictions: «Dans ces religions, il est naturel de ne pas manger de chaire animale. J’ai aussi pu constater que les recettes végétariennes orientales étaient très élaborées car tous les restaurants proposent ce type de cuisine, de la gargote à la table gastronomique. En Italie, par contre, ne pas manger de viande était souvent réservé aux pauvres qui se nourrissaient de polenta et de légumes. En 2021, c’est devenu trendy. Je pense que dans dix ans, 80% des plats servis dans les restaurants seront végétariens.»
Succès lyonnais
Une évolution à laquelle Pietro Leemann a grandement contribué puisqu’il a été le premier chef européen à obtenir en 1996 une étoile Michelin pour sa cuisine végétarienne. Depuis, il a fait de nombreux émules. Comme Adrien Zedda, un jeune surdoué qui a participé à l’émission «Objectif Top Chef» en France. En 2016, le chef de 25 ans a ouvert Culina Hortus, le premier restaurant gastronomique 100% végétarien à Lyon, la capitale de la cochonnaille. Il fallait oser, il l’a fait. «Je travaille de la même façon que mes autres collègues, sauf que je n'utilise ni viande ni poisson», se plaît-il à rappeler. Et le succès est au rendez-vous. Les clients s’y pressent, en dehors des fermetures liées aux mesures sanitaires, pour y découvrir une carte généreuse: fricassée de haricots blancs, palet de céleri rôti au thym au beurre d’herbes, purée de potimarron, tourte végétale ou encore mangue marinée à l’huile d’olive. Côté tarifs, ils restent alignés sur ceux des recettes intégrant de la viande ou du poisson.
Demande croissante
Sans aller jusqu’à un végétarisme total, le chef étoilé Philippe Chevrier du Domaine de Châteauvieux note une demande croissante de la part des clients: «Nous proposons des menus végétariens depuis 35 ans, cela fait partie de notre service de s’adapter aux exigences alimentaires de notre clientèle selon les différentes nationalités, régimes et religions, les propositions végétariennes ont toujours fait partie de notre cuisine. Nous savons que lorsqu’une table de huit convives se réserve, il faut s’attendre à une commande qui n’est pas forcément uniforme selon les envies de chacun. Depuis deux ans, nous participons également en tant qu’ambassadeur, à l’opération Veggie Week. Un événement qui met à l’honneur le végétarisme dans les plus belles tables de Suisse en faisant passer le message que haute gastronomie peut aussi rimer avec «veggie».»
Tendance de fond
Pour les chefs créatifs, c'est un terrain de jeu passionnant et relativement peu exploré
Knut Schwander, responsable romand du guide Gault&Millau
C’est une évidence, les grands chefs sont toujours plus nombreux à faire le grand saut en proposant des concepts uniquement végétariens. Ce qui n’étonne pas Knut Schwander, responsable romand du guide Gault&Millau: «Longtemps la cuisine végétarienne a été perçue comme une revendication, une démarche exclusive, donc dérangeante pour les non-végétariens. Aujourd'hui, les plats végétariens s'intègrent tout naturellement à la majorité des cartes de restaurants de qualité. Ce sont des plats comme les autres. Et il y a parmi eux de petits chefs d'œuvres! Pour les chefs créatifs, c'est aussi un terrain de jeu passionnant et relativement peu exploré jusqu'à présent.»
Un avis partagé par Pamela Redaelli, directrice de l’agence de communication PR&co et instigatrice de la Veggie Week: «La demande d’une cuisine végétale gourmande, pleine de couleurs et de saveurs est grandissante. La population végétarienne, mais aussi flexitarienne augmente, et cette clientèle choisit aussi ses expériences culinaires en fonction de l’offre proposée. En ayant un menu végétarien à la carte, un restaurant offrira aussi l’idée à tout un chacun de le tester. C’est en général une belle surprise pour le client qui découvre une «autre» gastronomie, tout aussi gourmande et savoureuse et souvent incroyablement créative.» Et les chaînes hôtelières de prestige s’y mettent aussi. Le groupe Ovolo, qui opère en Australie et à Hong-Kong, vient d’annoncer que tous ses restaurants ne proposeront que de l’alimentation végétale. La preuve que le végétarisme s’inscrit dans une tendance de fond…
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