Géopolitique et Luxe. Taïwan: le délicat exercice d’équilibre

L’année qui vient de débuter est annoncée par les analystes comme l’année de tous les dangers. En cause, les très nombreuses élections qui se tiendront dans plusieurs fédérations, Russie et États-Unis en tête. Trois milliards de personnes seront invitées aux urnes en 2024, déterminant quelque potentiel bouleversement d’équilibre sur l’échiquier international. Le premier gouvernement à avoir été confronté aux élections a été celui de Taïwan. Le 13 janvier dernier, sur l’île convoitée par la Chine, les électeurs ont choisi Lai Ching-Te du parti DPP, un homme politique qui s’est toujours inscrit contre tout projet d’unification entre Taïwan et la Chine. Depuis son élection, la tension est montée d’un cran entre les deux pays.

Comment le monde du luxe fait-il face à cette situation? Si Taïwan est un marché florissant grâce à une clientèle jeune et fortunée, qui voit dans les marques occidentales de luxe un moyen d’affirmer une certaine image de réussite, il est vrai aussi que le poids de l’influence chinoise freine les collaborations et les investissements des marques européennes sur l’île.

Les grandes surfaces établies à Taïwan ont garanti pendant des décennies d’excellents chiffres d’affaires pour les enseignes haut de gamme: en 2019, année de référence avant la pandémie, les marques de luxe ont connu une croissance de 2% par rapport à 2018, malgré l’interdiction du tourisme chinois à Taïwan. À titre d’exemple, les ventes des principales marques de luxe ont augmenté de plus de 30% chez Shin Kong Mitsukoshi Tainan, un des plus importants centres commerciaux de l’île. Avant que la crise sanitaire vienne bouleverser les données, le chiffre d’affaires affiché par les grands magasins de l’île correspondait à environ 10,7 milliards d’euros. À noter que l’un des secteurs les plus intéressants pour les marques européennes à Taïwan a toujours été celui de la lunetterie. La maison italienne Safilo a signé un important contrat de distribution avec Luxasia, spécialiste du retail et de la distribution omnicanal de produits de beauté de luxe en Asie, désormais ouvert à la mode et les accessoires.

Lors de l’année 2020, considérée comme l’année noire du commerce international, le marché du luxe à Taïwan n’a pas connu de frein important: la gestion exemplaire du Covid de la part des autorités locales a permis une progression des ventes et un essor de la demande en articles haut de gamme. Alors que le tourisme international était au point mort, la demande intérieure a explosé: les consommateurs taïwanais qui envisageaient de faire leurs achats à l’étranger ont dépensé dans les grands magasins de l’île. Par ailleurs, de nombreuses grandes marques bloquées par l’impossibilité de vendre leurs produits dans toute une série de pays en raison de la fermeture des magasins se sont tournées vers Taïwan. Le temple du shopping Shin Kong Mitsukoshi Tainan a ainsi enregistré en 2020 un chiffre d’affaires de 2,39 milliards d’euros, en croissance par rapport aux 2,38 milliards de 2019. Une véritable exception à l’échelle internationale. Depuis, les chiffres du marché du luxe continuent d’y afficher des performances positives.

Mais depuis quelque temps, la pression de la Chine sur les investisseurs étrangers est une réalité, et la victoire du candidat de l’indépendance ne peut que contribuer aux tensions. En juillet dernier, la maison Bulgari avait dû présenter ses excuses à la Chine pour avoir défini Taïwan comme un pays, sur son site internet. Par le passé, le même faux pas diplomatique avait déjà été commis par d’autres maisons comme Givenchy et Versace, provoquant une levée de boucliers et un boycott de la part des Chinois. Comment, dès lors, concilier le désir d’expansion sur le florissant marché taïwanais et la nécessité de ne pas froisser les autorités chinoises? L’exercice d’équilibre demandé aux acteurs du luxe sera particulièrement difficile désormais.