Comment la philanthropie d’entreprise peut-elle résister à la pression médiatique ?
By Isabella Hübscher17 novembre 2022
Le 8 novembre dernier, Cartier Philanthropie célébrait à Genève ses 10 ans d’activité autour d'une conférence sur le thème: «Comment la philanthropie d'entreprise peut-elle résister à la pression médiatique?», réunissant des acteurs importants du secteur. Comment prioriser les crises, avoir de l’impact sur le terrain et construire un lien de confiance sur le long terme avec les communautés sont aujourd’hui les enjeux majeurs de la philanthropie.
Afin de célébrer ses dix ans, Cartier Philanthropie organisait une conférence intitulée «Comment la philanthropie d'entreprise peut-elle résister à la pression médiatique ?» , modérée par Cristina D'Agostino, fondatrice et rédactrice en chef de Luxury Tribune, afin de débattre du défi que représente la philanthropie d'impact face à l'augmentation constante du nombre de crises dans le monde. Depuis sa création, Cartier Philanthropie s'est attachée à agir dans les régions les plus fragiles de la planète, en donnant aux communautés les moyens d'agir grâce à une vision stratégique de l'impact collectif. En dix ans, la fondation a pu financer des programmes à hauteur de 100 millions de francs suisses. Basée à Genève, Cartier Philanthropy travaille aux côtés de 80 partenaires qui luttent au quotidien contre les inégalités, dans plus de 50 pays. Sur scène à Genève, Pascale de La Frégonnière, conseillère stratégique auprès du conseil d'administration et fondatrice de Cartier Philanthropie, Emma France, directrice du développement international et de l'engagement stratégique de l'ONG mothers2mothers, et Mara De Monte, directrice exécutive du Geneva Center of Philanthropy de l'Université de Genève, ont échangé leurs points de vue et expériences sur les thèmes de la pression médiatique, de l’urgence et de l’impact.
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Des urgences silencieuses qui ne font pas la une des journaux
Il existe aussi des urgences silencieuses, des crises qui ne font pas les gros titres, et nous voulons également être là pour elles
Pascale de La Frégonnière, conseillère stratégique auprès du conseil d'administration et fondatrice de Cartier Philanthropie
Le contexte mondial actuel semble être un champ de bataille permanent, où la gestion des urgences est devenue un défi. De nombreuses régions du monde, déjà en difficulté depuis des décennies, souffrent d'une succession de crises différentes: santé, économie, migration, instabilité politique et changement climatique. Comment définir des priorités en matière d'engagement face à ces crises qui se chevauchent? «C'est une question difficile. Nous avons décidé de financer des organisations qui améliorent la vie des populations de manière à ce qu'elles ne soient pas victimes de ces urgences, explique Pascale de La Frégonnière. Nous travaillons avec des organismes qui tentent de remédier aux dysfonctionnements des systèmes et de faire en sorte que les services sociaux soient accessibles. Nous devons avoir une bonne compréhension de ce qui se passe sur le terrain, lorsqu'une crise survient, et savoir qui est là pour fournir l'intervention et l'assistance nécessaires. Les médias attirent l'attention sur certaines questions de grande importance, mais il existe aussi des urgences silencieuses, des crises qui ne font pas les gros titres, et nous voulons également être là pour elles.»
Nous recherchons des organisations qui ont un impact, qui sont animées par les mêmes objectifs, et qui ont une solution et une stratégie éprouvées pour y parvenir.
Pascale de La Frégonnière, conseillère stratégique auprès du conseil d'administration et fondatrice de Cartier Philanthropie
La discussion s'est poursuivie autour de la problématique du choix du bon partenaire sur le terrain. À ce sujet, Pascale de La Frégonnière a précisé: «Choisir le bon partenaire est crucial. Nous recherchons des organisations qui ont un impact, qui sont animées par les mêmes objectifs, et qui ont une solution et une stratégie éprouvées pour y parvenir. Lorsqu'il s'agit d'urgences, la flexibilité est également essentielle, car les besoins changent d'une semaine à l'autre.» Une des ONG avec lesquelles Cartier Philanthropie travaille depuis de nombreuses années est mothers2mothers, qui se consacre à la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant en fournissant une éducation et un soutien aux femmes enceintes et aux jeunes mères vivant avec le VIH, entre autres. Emma France, directrice du développement mondial et de l'engagement stratégique de l'ONG, a donné quelques indications sur son approche de l'action philanthropique : «Dans notre modèle, les femmes qui deviennent des mentors sont issues des communautés qu'elles servent. Il est essentiel que les femmes que nous voulons toucher aient le sentiment d'être comprises, car c'est ce qui détermine le changement de comportement que nous voulons voir se produire. La confiance qui naît du dialogue avec une femme qui partage les mêmes difficultés que vous, induit une liberté de parole, sans crainte, et la compréhension de concepts cruciaux tels que le consentement.»
La fragilité des communautés s'est accrue depuis le Covid
La fragilité des communautés est encore plus choquante depuis le Covid: les femmes y sont moins en sécurité
Emma France, directrice du développement international et de l'engagement stratégique de l'ONG mothers2mothers
Emma France a en outre partagé ses objectifs et ses souhaits pour l'avenir: «Nous voulons atteindre la santé pour tous! Nous voulons que les 615 millions de personnes du continent africain, dont seulement la moitié ont accès aux services de santé dont ils ont besoin, aient accès aux soins.» Cependant, certaines questions encore plus élémentaires que les systèmes de soins de santé font drastiquement défaut dans certains pays du continent. «La fragilité des communautés est encore plus choquante depuis le Covid: les femmes y sont moins en sécurité, souffrent encore davantage de la faim ; tout l'écosystème est plus fragile. La violence domestique est un énorme problème. Avant même de parler du VIH, la question pour bon nombre d'entre elles est avant tout de savoir si elles sont en sécurité chez elles.»
Afin de mieux comprendre la collaboration entre le secteur public et le secteur privé dans le domaine de la philanthropie, Mara De Monte, directrice exécutive du Centre de philanthropie de l'Université de Genève, a partagé son point de vue sur le sujet. «Nous voyons de plus en plus de collaborations se mettre en place. Je constate une plus grande pression pour essayer d'obtenir des actions concrètes et efficaces dans le cadre des objectifs de viabilité des partenariats. La question est de savoir combien sont réellement efficaces. Les défis d'aujourd'hui nécessitent une collaboration et un partage des responsabilités. L'expertise et les connaissances sont partout, et il est crucial de réunir différents types d'acteurs, des ONG aux philanthropes, en passant par les gouvernements, pour relever les défis d'aujourd'hui.»
Fonds sans restrictions: la confiance ultime
Pourtant, face à l’assertion communément admise que le pouvoir est souvent du côté de celui qui possède les fonds, les panélistes semblaient partager le même point de vue : «Il est certes assez simple de le reconnaître déclarait Emma France. Bien sûr, il y a certains donateurs avec lesquels c'est plus difficile, car ils vous disent quoi faire et comment dépenser l'argent, mais ils ne sont pas sur le terrain et ne comprennent donc pas ce qui est nécessaire. Cependant, notre collaboration avec Cartier montre que nous pouvons construire un partenariat durable à long terme grâce à des fonds qui ne sont pas restreints à une affectation précise. Il s'agit de créer de la confiance, de nouer des dialogues sincères et de reconnaître les problèmes qui se posent.» Pascale de La Frégonnière a ajouté: «Il y a deux ans, 30% de l'argent que nous donnions aux ONG n'était pas affecté. Aujourd'hui, nous en sommes à 60%, car la confiance prend du temps à se construire et nous savons que de cette manière, nous pouvons aider au mieux. Nous avons peut-être le pouvoir, mais sans nos partenaires, nous ne sommes personne. L'impact ne peut être créé que collectivement.»
La discussion s'est ensuite ouverte sur des questions essentielles du public autour des limites de la pression médiatique, mais aussi des impacts positifs qu'elle peut avoir. En effet, il existe, en tant qu'entreprise, une frontière ténue entre communiquer sur certaines problématiques et actions, et être accusé d'utiliser ces situations au profit de son image. «La pression médiatique est essentielle pour mettre en lumière ce qui se passe dans le monde et inciter les gens à agir, a commenté Pascale de La Frégonnière. Quand une crise survient, nous prenons le temps de comprendre la situation et les besoins plutôt que de répondre à l'urgence au moment où les fonds affluent. Nous intervenons deux ou trois mois plus tard, alors que les besoins sont toujours là, mais que cela n'est plus à la une des journaux.» Toujours à propos de l'impact positif des médias, Emma France conclut: «Aujourd'hui, les médias traditionnels ne sont pas les seuls à générer de l’impact. Les médias sociaux attirent l'attention sur les crises de manière cruciale. Prenons l'exemple de la guerre en Ukraine ou de la situation en Afghanistan, cela a changé la donne en termes de témoignages que nous pouvions entendre sur le terrain.»
La conférence s’est ensuite prolongée par l’ouverture au public de l’exposition réalisée par la photographe Newsha Tavakolian «Unlocking Healthcare for All».
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