America’s Cup: Luna Rossa repart en mer
Les cinq équipages de la 36ème America’s Cup ont entamé une course contre la montre pour rattraper les jours passés en confinement. Un équipage, Luna Rossa, challenger de la prochaine coupe, a déjà repris la mer. Entretien exclusif avec Max Sirena, le capitaine du bateau.
26,5 m
hauteur du mât
6,5 tonnes
le poids
11
navigateurs
20,7 m + 2m
coque et beaupré
95 mio
budget de Luna Rossa
4 m
envergure des foils
Sur la base Luna Rossa de Cagliari, les jours et les nuits s’enchaînent à un rythme infernal. Les supers ingénieurs, techniciens et navigateurs qui composent la centaine de collaborateurs du team italien s’affairent autour de l’AC75 aux couleurs de Prada. Le compte à rebours est lancé. Le sponsor horloger Panerai n'est pas loin. Le démâtage, puis le lockdown lié à la Covid-19 ont mis les nerfs du team à rude épreuve. Son capitaine, Max Sirena, vit sa septième participation. Déjà vainqueur à deux reprises de la coupe, avec BMW Oracle Team lors de la 33ème America’s Cup et avec Emirates Team New Zealand lors de la dernière édition aux Bermudes, cette année, il joue gros, à nouveau. Mais cette 36ème édition est inclassable. Perturbé par une pandémie qui a tout paralysé, le travail à abattre pour conquérir la coupe est gigantesque. La nouvelle catégorie de voiliers monocoques sur foils AC 75 est, sans nul doute, le pari le plus extrême jamais connu par le monde de la voile. Certainement le début d’une nouvelle ère.
Naviguer sur une embarcation lancée à 100 km/h est un pari technologique, une folie à mi-chemin entre une F1 et un avion. L’objet volant de 23 mètres de long est spectaculaire. Le défi: survoler l’eau pour toucher la victoire. Et Luna Rossa la veut. Commencée il y a 20 ans, son histoire est liée à un homme, Patrizio Bertelli, CEO du Groupe Prada. Six coupes plus tard, Luna Rossa accepte le défi d’être le challenger des Néozélandais, gagnant de la 35ème America’s Cup face aux Américains d’Oracle. Max Sirena raconte en exclusivité les défis qui attendent encore l’équipage italien avant la première régate à Auckland.
La Covid-19 a passablement perturbé la préparation de l’America’s Cup. Comment vous a-t-elle impacté?
Heureusement, nous n’avons jamais dû fermer la base. Seule l’activité en mer a été suspendue pendant 35 jours. Nous avons donc mis toutes nos forces sur la Recherche & développement. Dix jours après Pâques, le feu vert pour retourner en mer a été donné. Les conditions de navigation ont dû être adaptées, en fonction des normes sanitaires et de distanciation. Au lieu des onze membres d’équipages, nous avons dû limiter à cinq équipiers, en remplaçant principalement les «grinders» par des «power packs» (moteurs électriques) qui permettent de produire l’énergie nécessaire au bateau. A fin avril, nous étions la seule équipe à avoir repris la mer.
Des retards ont-ils été pris sur la construction du deuxième bateau?
Oui, il a accusé un gros retard. Nous adaptons notre programme pour rattraper le temps. Mais nous savons que les autres équipages sont également dans cette même problématique. Certains chantiers ont dû fermer, c’est le cas en Nouvelle Zélande. Nous savons que nous allons devoir affronter la pandémie encore pendant des mois et apprendre à travailler avec le Covid-19.
En raison de la crise, les deux régates de Cagliari et de Portsmouth ont dû être annulées. Un gros handicap…
C’était évidemment l’occasion de s’affronter et de jauger les performances de chacun. Nous n’y aurons pas droit. Et c’est une lacune énorme, d’autant que la classe de bateau sur laquelle nous naviguons est totalement nouvelle. C’est un saut dans l’inconnu. Les premières courses auront lieu au mois de décembre en Nouvelle Zélande. Ce qui aura été construit ne pourra pas être changé. La simulation est donc le point stratégique actuellement.
Espionner ses concurrents en est un autre?
Oui. Cela fait partie du jeu. Avant le lockdown, chaque équipe avait son zodiac permettant de s’approcher des bateaux pour les espionner. D’ailleurs, nous avions toujours en permanence quatre bateaux autour de nous lorsque nous sortions en mer. Ces derniers jours, alors que nous étions de retour en mer, il a été assez étrange de naviguer seuls. Dès que les frontières ouvriront, nous pourrons à nouveau envoyer un membre de l’équipe observer les concurrents.
La 36ème America’s Cup représente votre septième participation. Qu’est-ce qui change cette fois?
L’America’s Cup est une drogue. Personnellement, lorsque je termine une coupe, je suis vidé et heureux de me reposer. Mais il suffit de quelques jours pour que je ressente déjà les premiers picotements, les premières pensées qui me parasitent, comme des flashs, et qui me soufflent ce que j’aurai pu ou dû faire différemment. Et le virus est à nouveau là. C’est une addiction. Vous y pensez sans cesse. L’America’s Cup vous donne beaucoup, mais vous reprend encore davantage, sur un plan personnel. Nous vivons sur la base comme dans une boîte, environ 12 à 16 heures par jour. Lorsque l’on accepte le défi, en America’s Cup, il y a deux règles: le temps ne se rattrape pas et arriver deuxième n’existe pas.
Cette année vous retrouvez l’équipage italien. C’est une émotion particulière?
Oui, je dois tout à Luna Rossa et à Patrizio Bertelli. Je suis italien et très attaché au drapeau. Et les marques italiennes associées au bateau sont toutes leaders dans leur domaine, je pense à Prada, Pirelli, Panerai. C’est une fierté.
Quel est votre lien personnel avec la marque Panerai?
Je suis un grand passionné d’horlogerie. Et j’ai le plaisir de posséder quelques belles montres, dont quatre Panerai que je collectionnais bien avant cette édition de l’America’s Cup, mais je me réjouis que ma collection s’agrandisse (rire). Quand Jean-Marc Pontroué, le patron de la marque, m’a appelé pour me rencontrer ça m’a beaucoup touché. J’aime beaucoup l’histoire de la marque et avoir pu participer au développement des montres, des matériaux comme le carbone a été passionnant.
Selon vous, la navigation de l’AC 75 est encore plus extrême que le catamaran AC 50?
Au niveau technique et dynamique, ce bateau est absolument unique. En vol, son équilibre, sur le fil du rasoir, est inhabituel. Au moment d’écrire les règles de classe avec Team New Zealand, nous avons vécu quelques moments de doute. Il faut imaginer que ce ne sont pas moins de trois ordinateurs qui gèrent les fonctions du bateau, du mouvement des foils, de la barre, des voiles, etc. Elle est beaucoup plus proche d’un hélicoptère, en matière de software, qu’un bateau. D’ailleurs les mots se ressemblent. Nous parlons de pilotage automatique, de contrôle de vol. L’AC 50 était beaucoup plus simple en comparaison, dans le software, la mécanique, l’hydraulique, l’électronique. Les multicoques étaient plus petits, avec moins de fonction. Avec l’AC 75, le dessin de la coque est beaucoup plus libre et laisse plus de place aux développements technologiques que l’AC 50, dont les composants étaient identiques pour tous. La liberté est beaucoup plus grande cette fois.
Comment sont les sensations de navigation?
Le bateau est imposant dans ses volumes, mais très léger. C’est une émotion indescriptible. Vous ne ressentez pas la vitesse, sauf quand vous regarder le compteur (rire). Le bateau saute d’une vague à l’autre. Ses possibilités sont vastes et encore impensables il y a à peine huit mois. Les performances évoluent chaque jour. L’équipe la plus forte sera celle qui sera la plus agile à le comprendre et à s’adapter à ses performances illimitées. Nous avons aujourd’hui une marge de progression de 30%, dans la navigation et les matériaux. Et en vitesse de pointe, nous avons déjà atteint les 49 nœuds et la progression est encore possible.
Votre équipage est très jeune. Ces bateaux demandent-ils une condition physique extrême?
Oui. Une régate dure 25 minutes et les grinders sont évidemment un poste stratégique, à fond pendant ce laps de temps. Ce sont des jeunes, au physique très pointu. Mais au-delà du physique, Luna Rossa a besoin de jeunes, pour préparer son futur.
Quel est le budget pour arriver à la victoire et quelles sont les attentes de Fabrizio Bertelli?
L’America’s Cup coûte toujours très cher, car nous travaillons avec un objet hautement sophistiqué et complexe. Le budget de Luna Rossa est fixé à 95 millions d’euros au total, depuis le début du développement jusqu’à la course. Je sais que les Anglais disposent d’un budget de 115 millions de livres, tout comme les Américains. Les Néozélandais disposent d’une somme équivalente à la nôtre. Quant aux attentes de Fabrizio Bertelli, elles sont évidemment très hautes. Nous échangeons par téléphone trois à quatre fois par jour. Ce serait une belle victoire aussi pour l’Italie, qui a traversé de terribles épreuves avec la Covid-19. J’ai d’ailleurs reçu un coup de fil totalement inattendu l’autre jour… Une personnalité très haut placé au niveau national dont je tairai le nom, m’a confié: «Je vous appelle car l’Italie a besoin de vous en ce moment. Votre challenge est pour tous une image de force et de positivité, et nous en avons besoin». La motivation prend ici encore une autre dimension…
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