L’horlogerie se pique de plus en plus d’acier recyclé. Mais qu’entend-on vraiment par «recyclage»? Et pour quel impact réel sur la planète? Tour d’horizon d’une question complexe, à la mesure des horlogers.
9 Mio
Montres suisses en acier exportées en 2022
140'000 t
Importation annuelle d'acier 316L en Suisse
100 t
La production annuelle d'acier recyclé que Panetere ambitionne de produire
Il est robuste, il est beau, il sait quasi tout «fer»… bref, les montres l’adorent! La liste des qualités de l’acier, alliage à base de fer, est aussi longue que polyvalente: inoxydable, incassable, abordable, polissable, satinable, façonnable, gris au naturel ou coloré une fois traité. Qui plus est, les marques ont la possibilité de développer leurs propres formules pour satisfaire leurs exigences de qualité, de propriétés et de nuances – tels Chopard, avec le Lucent Steel, et Rolex avec l’Oystersteel. En 2022, près de 9 millions de montres suisses exportées avaient un boîtier en acier (pour un volume de 15,8 millions tous matériaux confondus – source FHS). Dès lors, rien de plus normal que ce métal phare fasse son entrée parmi les hot topics de la durabilité horlogère – en particulier à travers la question de son recyclage. D’autant que l’entreprise suisse Panatere ambitionne de commencer à produire, courant 2024, son acier 100% recyclé – collecté dans la région – dans un nouveau four solaire à La Chaux-de-Fonds.
La recette du recyclage
En ce qui nous concerne, l’acier recyclé n’est pas le bon sujet. Le volume d’acier que nous utilisons par an, 9 tonnes en 2022, correspond en matière d’émissions de gaz à effet de serre à trois vols Europe-Los Angeles en business class
Rolf Studer, CEO de la marque Oris
Pour commencer, un fun fact: tout acier contient déjà entre 40% et 60% (voire davantage) d’acier recyclé, sans qu’il soit pour autant appelé «recyclé». La pratique aurait été intégrée par les fonderies depuis dix à quinze ans, par souci d’économie et d’optimisation des sources. Mais ce n’est pas tout: il existe en réalité non pas un, mais deux types d’acier recyclé. Le premier se compose de chutes, issues de processus de production (par exemple les restes de plaques usinées lors de la fabrication d’une boîte de montre); l’autre donne une seconde vie à des déchets issus d’objets de consommation.
La fonderie Voestalpine – un fournisseur majeur de l’industrie horlogère – utilise autant des chutes que des déchets, sans communiquer sur les proportions respectives. Elle explique toutefois qu’elle souhaite «se concentrer à l’avenir sur le recyclage des chutes» – que l’on devine plus faciles à trier et à valoriser, et s’attelle par ailleurs à la construction de fours à arcs électriques moins énergivores. L’entreprise Panatere possède, quant à elle, la particularité de recycler uniquement les chutes de production des entreprises jurassiennes. Une réelle opportunité, puisque 1500 tonnes de chutes d’acier inox 16 L partent chaque année au rebut. Par ailleurs, 140 000 tonnes d’acier 316 L sont importées par an en Suisse alors que 51 800 tonnes de déchets sont revendues à l’export. Panatere a ainsi mis en place des processus stricts de triage par nuance d’acier dans les entreprises. In fine, l’exercice semble en valoir la chandelle: l’acier 100% recyclé de Panatere existe bel et bien. ID Genève, marque championne de la circularité, l’utilise d’ailleurs pour ses modèles Circular S. Pour l’instant, du côté des marques de haute horlogerie, la formule se teste encore, et l’on entend que 98% pourrait être un maximum pour garantir la qualité requise.
Pourquoi ne pas recycler beaucoup plus de déchets métalliques? Mondaine, à l’origine du design iconique de l’horloge de gare CFF, réalisait dans les années 90 une montre en laiton qui pouvait être certifiée 100% post-consumer recycled metal. «J’ai voulu réitérer cette innovation du 100% recyclé à partir de déchets de consommation avec de l’acier 316 L, plutôt qu’avec des chutes de production – la norme aujourd’hui», explique André Bernheim, co-propriétaire du groupe et précurseur en matière de durabilité. «J’ai trouvé un collecteur de déchets métalliques et un fondeur. En revanche, aucune entreprise ne voulait produire des barres ou des plaques dans un format adapté à l’étampage. Les petites entreprises semblent avoir disparu, et les volumes utilisés pour la production de montres ne sont pas assez intéressants pour les grandes entreprises.»
Le défi de la transparence
Chopard a mis en place une forte circularité des déchets [renvoyés à son fournisseur Voestalpine], qui est également gage de traçabilité
Pauline Evequoz, Head of Corporate Sustainability chez Chopard
La traçabilité quant à la provenance de l’acier recyclé demeure pour l’instant une gageure pour les marques qui calculent leur impact CO2 par des valeurs moyennes. Résoudre la question reste pourtant crucial, puisque le calcul exact des émissions de gaz à effet de serre (selon les trois scopes – trois types d’émissions de gaz à effet de serre du Greenhouse Gas Protocol) dépend aussi de la provenance de l’acier recyclé. Chopard fait des efforts en ce sens, et a notamment mis en place une «forte circularité des déchets [renvoyés à son fournisseur Voestalpine], qui est également gage de traçabilité», explique Pauline Evequoz, Head of Corporate Sustainability.
Panatere répond à ce défi grâce à son système de tri sur le lieu de collecte. Raphael Broye explique par ailleurs être parvenu à recycler l’acier jusqu’à huit fois sans perte de qualité. En revanche, ce tri, réalisé en aval d’une première utilisation, ne résout pas la traçabilité de l’acier recyclé en amont – une problématique qui n’est pas sans rappeler les énormes défis posés par la réutilisation de chutes de production d’or.
Acier recyclé horloger: un impact minime?
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